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rompre tous ses liens de famille, n’avait pu se maintenir malgré sa manière presque absolue de gouverner, quand on vit que, plus jaloux de servir que de plaire, il préférait l’état à la cour, et voulait dominer dans le cabinet comme dans le parlement. Abandonnés par la couronne, les deux ministères suivans n’avaient pu se soutenir, ou du moins l’administration du duc de Grafton n’avait été qu’une suite inconsistante de remaniemens, et une déviation graduelle de l’esprit apparent et primitif de son institution. Toutes ces circonstances qui n’étaient point uniquement créées de mains de courtisans, et auxquelles contribuèrent inconsidérément, par leurs rivalités, leurs exigences et leurs variations, les premiers hommes des deux chambres, étaient de nature à seconder la propagation des nouvelles doctrines inconstitutionnelles, à discréditer les principes mêmes qui sont comme le droit des gens de la guerre parlementaire. Ainsi l’exclusion avait été successivement donnée à tous les hommes grands par la situation, le talent et la renommée, et un ministère était venu au monde qui, sans être formé de purs favoris, ne pouvait se passer de la faveur royale, qui, sans renfermer aucun des maîtres de la tribune, était assez rompu aux affaires et aux débats pour suffire aux besoins de chaque jour; un ministère qu’il eût été impossible de classer dans aucun parti, quoiqu’il ne fût l’adversaire déclaré d’aucun, prêt à les combattre tous au nom de la prérogative qui faisait sa force et son appui; un ministère enfin qui, par nécessité au moins autant que par conviction, devait s’appuyer sur la cour et convenir au goût du roi, grâce à la modestie de ses talens, à la petitesse de ses vues et à la fermeté de son attitude. On peut supposer, en effet, que George III n’eut jamais de ministre qui fût plus selon son cœur que lord North. Lorsque, beaucoup plus tard, le grand torisme conservateur eut été créé, comme une arme de défense forgée au feu de la révolution française, il put trouver que si la monarchie n’en souffrait pas, le monarque, rengagé dans les liens d’un parti, y perdait en indépendance propre et en influence personnelle. Aussi, tant qu’il fut capable de penser et de vouloir, accepta-t-il M. Pitt comme un sauveur, et jamais comme un favori.

Mais, à l’époque où Burke écrivait, cet avenir était au-delà de toute humaine prévoyance. Il ne savait qu’une chose, c’est qu’en dehors de tous les ministères il existait une cabale qui doublait en quelque sorte le cabinet. Il y avait, outre le parti du gouvernement, un parti des hommes du roi, des amis du roi, dissolvant ou négation de tous les partis, coterie d’intrigans et de docteurs, professant en principe que le choix des ministres était libre, que les ministres étaient d’autant plus au roi qu’ils avaient moins d’amis, et qu’enfin les chambres leur devaient aide et confiance par cela seul qu’ils étaient les