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ministres du roi. Ce système, sans violer la lettre de la constitution, pouvait la vicier dans son essence. « Cette infusion du favoritisme agissait dans le gouvernement comme un poison, dans le public comme un ferment. » De là tout le mal de la situation, de là le discrédit du pouvoir et le soulèvement de l’opinion. Il y avait urgence de raffermir sur ses véritables bases la constitution ébranlée.

La royauté pouvait la menacer par la corruption comme par l’usurpation. Le parlement pouvait se dénaturer en se subordonnant. Si la révolution l’avait associé au gouvernement, ce n’était pas pour qu’il cessât d’être un pouvoir de contrôle. C’est à mieux régler l’emploi des ressources abandonnées à la couronne, c’est à relever, à ranimer dans le parlement le sentiment de sa responsabilité que Burke concluait, après avoir admirablement décrit la situation que nous venons d’esquisser. Il espérait peu des réformes dont on parlait alors. Abréger la durée des parlemens lui paraissait un moyen certain, en multipliant des réélections ruineuses, de donner au pouvoir l’avantage sur les particuliers; car, entre eux et lui, la partie serait de moins en moins égale. Augmenter le nombre des places incompatibles avec les fonctions parlementaires, c’était écarter des influences avouables, sans détruire les pratiques occultes et les marchés clandestins par lesquels on achète ceux qu’on n’oserait récompenser. Ce qu’il réclame, c’est « l’interposition du peuple; le remède aux maux du parlement n’est pas dans le parlement même. » Que le peuple veille et agisse sur ses représentans, et pour cela qu’il les connaisse; que, dans toutes les questions importantes, la liste exacte des votans soit mise sous les yeux de tous. Burke se fie à cette publicité pour perdre à la fois et ceux qui trahissent leur parti, et ceux qui soutiennent tous les pouvoirs. Ainsi il espère rétablir la fidélité politique. Il faut voir avec quelle force de raison, avec quelle profonde connaissance des conditions d’un état libre, il explique, il justifie l’existence des partis, et montre que, sans les liens qui les unissent, les citoyens désarmés laissent périr entre leurs mains la liberté publique. Point de parti de l’opposition, point d’obstacle à l’arbitraire. Un pouvoir sans parti est faible, s’il n’est tyrannique. Cette formule dès lors inventée : « Non les hommes, mais les mesures, » est pour Burke une profession, d’indifférence politique; elle affranchit les individus de tout engagement; elle rabaisse au même niveau tous les talens et tous les caractères; elle pousse à l’anarchie, si elle ne mène au despotisme.

Telle est en gros l’idée de ce pamphlet, un des chefs-d’œuvre de la littérature politique. Je ne sais si l’on a fait aussi bien; on n’a pas fait mieux. Encore aujourd’hui, cet ouvrage de circonstance est cité comme un ouvrage de principes. C’est un livre classique; c’est, a-t-on dit, le Credo des whigs de l’Angleterre. Il faut le lire, si l’on veut