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assure le riz dans le pot de tout homme aux Indes. Un poète de l’antiquité regardait comme une des premières distinctions chez un prince qu’il voulait célébrer, qu’à travers une longue suite de générations il eût été l’ancêtre d’un habile et vertueux citoyen qui, par des moyens pacifiques, avait réformé des gouvernemens oppressifs et supprimé des guerres de rapine.

Indote proh quanta juvenis, quantumque daturus
Ausoniæ populis ventura in sæcula civem.
Ille super Gangem, super exauditus et Indos,
Implebit terras voce; et furialia bella
Fulmine compescet linguæ.

Voilà ce qui se disait du prédécesseur du seul homme à l’éloquence duquel ou puisse sans injustice comparer celle de l’auteur du présent bill. Mais le Gange et l’Indus sont le domaine de la renommée de mon honorable ami, et non pas de celle de Cicéron. Je l’avoue, c’est avec joie que je pressens la récompense de ceux dont tout le crédit, tout le pouvoir, toute l’autorité n’existe que pour le bien de l’humanité, et ma pensée s’étend à tout ce peuple, à tous les êtres de races et de noms divers qui, relevés par ce bill, auront à bénir l’ouvrage de ce parlement et la confiance accordée par la meilleure chambre des communes au plus digne de l’obtenir. Les petites critiques de parti ne seront plus entendues, lorsque la liberté et le bonheur se feront sentir. Il n’y a pas une langue, une nation, une religion dans l’Inde qui ne bénisse le soin tutélaire et la noble bienfaisance de cette chambre et de celui qui vous a proposé ce grand ouvrage. Vos noms ne seront jamais séparés devant le trône de la divine bonté, dans quelque langue et dans quelque rite qu’il soit demandé grâce pour les pécheurs et récompense pour ceux qui imitent la divinité dans sa charité universelle pour ses créatures. Ces hommages, vous les méritez, et ils vous seront, assurément rendus, lorsque tout ce jargon d’influence, de parti et de patronage sera plongé dans l’oubli. J’ai dit ce que je pense et ce que je sens pour l’auteur de ce projet. Un de mes honorables amis, en parlant de son mérite, a été accusé d’avoir fait un panégyrique étudié. Je ne sais ce qui en était; mais le mien, j’en suis sûr, est un panégyrique étudié; c’est le fruit de beaucoup de méditation, le résultat d’une observation de près de vingt années. Pour ma part, je suis heureux d’avoir assez vécu pour voir ce jour. Je me sens plus que payé de dix-huit ans de travaux, puisque enfin je suis en mesure de prendre par un humble vote ma part de l’abolition d’une tyrannie qui existe pour la honte de ce pays et pour la destruction d’une aussi nombreuse portion de l’espèce humaine. »


Mais le complot ourdi contre le projet, et surtout contre le ministère, était puissant. Le bill, après avoir réuni des majorités considérables dans les épreuves préliminaires, finit par ne passer qu’à 208 voix contre 201. La chambre des lords s’anima pour la prérogative royale, et rejeta le projet à 19 voix de majorité. Le roi avait pris personnellement l’affaire à cœur, et son intervention fut si peu cachée, qu’il n’attendit pas, selon l’usage, la démission du cabinet. Il