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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/354

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Promptitude d’esprit et hauteur d’âme, merveilleuse facilité à tout saisir, impatience naturelle de toute lenteur et de toute faiblesse dans autrui, c’était, au premier abord, la disposition imminente et comme l’irrésistible instinct du général Foy. Ajoutons que l’ardeur d’opinion commune alors, le mouvement public vers des institutions de liberté, un certain zèle libéral répandu dans l’air tournait les esprits à n’estimer que l’éloquence vigoureuse et pratique servant à la défense des intérêts nationaux, ou parfois à la passion calculée qui simulait habilement cette défense.

Quoi qu’il en soit, même devant cette préoccupation générale, et pour cette époque animée d’une si généreuse ardeur de droit et de l’égalité, il pouvait y avoir plus d’un attrait, piquant alors, dans l’étude de la grande Rhétorique d’Aristote, et surtout dans ce qu’on pourrait nommer sa psychologie politique, dans son analyse originale et profonde des caractères nationaux et individuels, des mœurs et des passions sur lesquelles doit agir la parole oratoire. En dehors de cette monnaie courante de la parole banale si fort usitée dans le gouvernement des états modernes, libres ou non, paraissaient là, gravées et rangées par la main d’un sage, comme autant de médailles de la nature humaine, reconnaissables après deux mille ans. Ces types de vérité, choisis et définis par le grand philosophe, comme la matière vivante que doit connaître à fond et dominer l’orateur, en ramenaient sous nos yeux quelques autres, épars dans les historiens et surtout dans Thucydide, homme de guerre, homme d’état, et proscrit politique avant d’être historien, et comme pour s’y préparer.

Rien, par exemple, ne pouvait paraître alors moins suranné, et n’est plus instructif pour tous les temps que le portrait tracé par Thucydide du peuple dont les orateurs d’Athènes se disputaient la conduite, de ce peuple mobile avant tout, ardent, découragé, fier, humble, vif, ingénieux, inerte, se laissant lourdement tromper, de ce peuple esclave ou tyran, dont Aristophane se moquait en face, et qu’un peintre, Parrhasius, selon Pline[1], avait représenté sous les traits prodigieux d’un personnage qui réunissait tous les contrastes imaginables de caractères et de passions, tous les extrêmes d’élévation et de bassesse. Le portrait qu’en avait fait Thucydide était plus grave et moins satirique, sans être moins vrai.

« Les Athéniens[2] sont grands faiseurs de nouveautés, également vifs à concevoir et à réaliser par l’exécution ce qu’ils ont conçu. Vainqueurs de leurs ennemis, ils vont à tout; vaincus, ils s’abattent au dernier degré; ils usent de leur corps au service public, comme de la

  1. Plinii Historiœ naturalis lib. XXXV, c. 36.
  2. Thucyd, Hist, lib. Ier, § 70.