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plus là d’antiquité. L’intérêt égoïste, la corruption, cela est toujours vieux, toujours jeune, toujours vrai. Cherchons le passage sur l’abaissement et l’accaparement des villes grecques par Philippe, sur les trahisons des principaux et la servitude de tous, pour le loyer de vente de quelques-uns. »

Je tournai quelques feuillets, et je lus le passage suivant[1] :

« Les villes de la Grèce étaient alors malades, ceux qui avaient le gouvernement et l’action étant gagnés par des présens, corrompus à prix d’or, et les particuliers, la foule, d’une part sans prévoyance de l’avenir, et d’autre part leurrée à l’attrait du repos et de l’inertie, tous enfin affectés de l’un ou de l’autre de ces maux, chacun croyant d’ailleurs que le danger ne viendrait pas jusqu’à lui, mais qu’aux dépens du péril des autres, il garderait en sûreté ce qu’il possède, pourvu qu’il le voulût sérieusement. Mais bientôt il advint, ce me semble, que les peuples, pour prix de leur grande et inopportune indolence, perdirent leur liberté, et que les chefs, ceux qui croyaient avoir tout vendu, hormis leur personne, comprirent qu’ils s’étaient tous vendus eux-mêmes les premiers; car, au lieu de ces noms d’amis et d’hôtes dont ils étaient salués quand ils s’étaient livrés pour argent, désormais ils s’entendent appeler sycophantes, ennemis des dieux, et autres noms qui leur vont si bien. C’est justice, car personne, ô hommes athéniens, à l’heure où il donne de l’argent, n’a en vue l’intérêt du lâche qui le reçoit. Personne, une fois maître de ceux qu’il a achetés, ne prend le traître pour conseil sur ce qui reste à faire. Autrement il n’y aurait rien de plus fortuné que le traître; mais il n’en va pas ainsi, non, il n’en va pas ainsi! Comment donc! il s’en faut de tout.

« Aussitôt que celui qui aspire à dominer s’est mis en possession des affaires et se sent maître des hommes qui les lui ont vendues, connaissant bien leur corruption, alors surtout, alors il les hait, les soupçonne et les crosse du pied. Soyez bien attentifs à cela, car, si le moment de semblables transactions est passé, le moment d’en bien connaître est toujours là pour les esprits sensés. Lasthenès était nommé l’ami de Philippe jusqu’au jour où sa trahison livrait Olynthe, Timolaüs jusqu’au jour où il perdait Thèbes, Eudic et Simos de Larisse jusqu’à ce qu’ils aient mis la Thessalie sous Philippe. Après cela, chassés, outragés, en butte à tous les maux, de ces traîtres la terre a été remplie. Qu’est devenu Aristrate à Sicyone et Périlaüs à Mégare? Ne sont-ce pas les balayures de la terre? Et de là peut se voir clairement que qui défend le mieux son pays, qui résiste le mieux à de tels hommes, celui-là, ô Eschine, vous ménage, à vous autres

  1. Demosth. Oper, t. 2.