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disso- qui travaille depuis longtemps le parti légitimiste, sans qu’il s’en doute peut-être, et son histoire ne serait pas la moins curieuse dans la mêlée des opinions contemporaines.

Une des suprêmes illusions des partis d’ailleurs, c’est de ne jamais s’imputer à eux-mêmes leurs défaites et leur impuissance. Interrogez le parti légitimiste ; il ne reconnaîtra point, à coup sûr, que c’est à lui surtout que la restauration a dû de périr, et cependant chaque œuvre qui paraît, en éclairant cette époque, met à nu cette vérité, qui n’est point nouvelle. Un livre que publie M. de Marcellus, — la Politique de la Restauration en 1822 et 1823, — montre comment une grande entreprise telle que l’expédition d’Espagne devient inutile. Le dernier volume de l’Histoire de la Restauration de M. de Lamartine fait voir la crise de cette époque à son triste et fatal dénouement. Une chose nous frappe dans l’ouvrage de M. de Marcellus : l’auteur, alors chargé d’affaires de France à Londres, rapporte que, dès 1823, Canning, dans une conversation, laissait percer le pressentiment d’une révolution de 1688 pour notre pays. Ce n’était point, autant que le pouvait croire M. de Marcellus, un soupçon de conspiration jeté sur un prince rapproché du trône. Ce que pensait et ce que voyait Canning, c’est qu’il y avait en France un parti ardent et compacte qui héritait de toutes les fautes du gouvernement, que chaque violence des majorités victorieuses popularisait dans le pays, qui grandissait chaque jour par toutes les occasions qu’on lui offrait, et qui devait nécessairement, à la dernière heure, trouver sa personnification couronnée. Le gouvernement français ne tenait nul compte de la communication de son jeune envoyé à Londres, et il avait tort. Il aurait dû y voir, non une complicité qui ne peut être construite qu’après coup, mais un symptôme de son propre danger. Il aurait dû y puiser le sentiment d’une politique de nature à désarmer ces éventualités redoutables, à vaincre par la modération même et la prudence, l’hostilité des partis, et à fonder sur des bases solides ce régime politique, qui offrait peut-être les meilleures conditions de durée à la monarchie constitutionnelle, au prix d’une intelligente sagesse. Le livre de M. de Marcellus, au reste, est moins une étude sur la restauration tout entière qu’une curieuse collection de documens sur un incident, la guerre d’Espagne, et sur l’homme qui a le plus contribué à l’accomplissement de cet acte politique, M. de Chateaubriand. L’auteur des Mémoires d’Outre-tombe n’était point homme évidemment à laisser à M. de Marcellus les meilleures pièces de son portefeuille. Quelque rapides et légères que soient ces lettres, cependant, comme l’homme s’y peint bien encore, facilement enivré sur la scène où il est enfin monté : sceptique sur tout, hors sur lui-même, quoi qu’il en dise ; dédaigneux en apparence des applaudissemens et écrivant : Soignez bien les journaux ; peu soucieux d’ailleurs de ses intérêts pécuniaires, mais plein de caprices d’imagination, et trouvant le temps de songer, au milieu des préoccupations politiques, à faire passer à Méhémet-Ali la voiture de gala de son ambassade à Londres, uniquement pour voir l’effet de cette combinaison : une voiture de Chateaubriand allant rouler vers le Nil !

Le livre de M. de Marcellus, nous le disions, n’est qu’une intéressante esquisse faite avec des documens sur un point, un épisode de la restauration ; le volume de M. de Lamartine qui paraît aujourd’hui est le tableau des catastro-