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catastro- suprêmes. Seulement on dirait que l’auteur veut réparer le temps qu’il a perdu en commençant son ouvrage. Il a consacré plus d’une moitié de son livre à peindre les premières années de la restauration ; maintenant cinq ans d’histoire sont contenus dans un volume. Autant M. de Lamartine s’attardait au début, autant il se hâte aujourd’hui vers le dénouement, précipitant son récit, dessinant à peine l’attitude des partis, négligeant les faits et laissant d’ailleurs toujours tomber en courant ses traits prestigieux et ses couleurs opulentes. L’esprit de l’auteur dans tout ce livre flotte entre bien des influences. Il a été juste plus d’une fois pour cette époque dont il reproduisait le tableau, et où il a vécu lui-même. Il semble qu’arrivé au terme il ait voulu placer le dernier mot de son livre sous l’invocation de cette politique nébuleuse et fantasmagorique qu’il s’est faite. M. de Lamartine, en effet, parle de « la souveraineté divine qui se manifeste par la souveraineté du peuple et se légitime par la liberté ! » Voilà, il nous semble, de grands mots, pour exprimer une idée assez peu compréhensible. Il serait peut-être utile d’avoir de meilleurs renseignemens sur cette souveraineté divine qui à besoin d’une légitimation et qui se confond avec la souveraineté populaire. Au fond, avec toutes les différences de nature et de génie, M. de Lamartine se rapproche en bien des points de Chateaubriand. Tous deux ont eu le même goût des traditions monarchiques du passé et les mêmes flatteries pour ce qu’ils considéraient comme l’avenir ; tous deux ont eu l’ambition de la vie politique, et tous deux à leur heure ont contribué à des révolutions. Ils se sont trouvés au milieu des ruines sans en avoir le remords, parce que les ruines sont encore une poésie. C’est que c’étaient des imaginations puissantes, et non des raisons calmes et fortes ; ils avaient plus l’instinct des choses dramatiques et éclatantes de la vie que des choses sensées ; ils suppléaient à la réalité par des images : la chimère évanouie, il n’est pas même resté sous leurs pas le sol où ils s’étaient élevé un piédestal !

Ce que l’imagination a jeté d’élémens périlleux dans la politique, il serait difficile de le dire. Là même où elle est reine, où elle domine naturellement, dans les lettres, — faute d’une règle et d’un frein, elle a été une occasion de chute et d’égarement pour les esprits. La littérature est allée à la dérive, ne sachant où se fixer, traversant tous les domaines, moissonnant au hasard, se moquant de toutes les notions ; elle a abouti aux merveilles de la fantaisie ou aux merveilles de l’industrie, quand les deux, par aventure, ne se trouvaient pas sur le même chemin. Elle n’a point mis l’histoire en madrigaux précisément, mais elle l’a peut-être bien mise en ballades ou en sonnets, si ce n’est en nouvelles. L’art littéraire s’est trouvé un beau jour résider tout entier dans les combinaisons étranges, dans les assemblages bizarres, dans le choc des mots, dans le mélange de toutes les couleurs. Il faut convenir que M. Arsène Houssaye, avec un esprit délicat, n’est point sans multiplier les gages à ce genre à la fois prétentieux et futile. Talons rouges et bonnets rouges, le titre n’est-il point merveilleux pour compléter celui de Sous la Régence et sous la Terreur ? Tel est en effet le titre du nouveau livre de M. Houssaye. Seulement il est à craindre que l’auteur n’ait épuisé toute son imagination dans la recherche d’un titre et dans sa préface, et voilà pourquoi il ne lui en sera resté que tout juste pour joindre ensemble quelques nouvelles d’un médiocre inté-