Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/406

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

point une raison de le supprimer, uniquement parce qu’il existe. L’essentiel est de tempérer ses inconvéniens, de tirer de son mécanisme et de ses ressources le plus de fruit qu’on peut, et d’y faire tenir tous les besoins, tous les instincts d’un pays, toutes les conditions d’un bon et juste gouvernement.

C’est là le but que semble poursuivre aujourd’hui le gouvernement espagnol après la transformation récente qu’il a subie. La situation du cabinet de Madrid n’est point facile sans doute en présence des difficultés qui lui ont été léguées, de celles qui naissent de sa propre composition et de l’embarras perpétuel de coalitions menaçantes ; mais il suit jusqu’ici avec une persévérante prudence la voie qu’il s’est tracée, il s’efforce de son mieux de désarmer les susceptibilités légitimes de l’opinion, sans céder à l’intimidation des partis. Les élections sont maintenant fixées au 4 février, et les chambres doivent toujours se réunir au mois de mars, de telle sorte que le mouvement électoral devient aujourd’hui l’unique préoccupation au-delà des Pyrénées. Le ministère agira sans nul doute dans ce mouvement ; toutefois en même temps, il laisse pleine liberté aux opinions, et un de ses premiers actes a été une modification du décret royal rendu au mois d’avril dernier sur la presse. On ne l’a point oublié, ce décret portait l’empreinte du moment et de la situation particulière où s’était placé le cabinet alors au pouvoir. Il entourait la presse de restrictions et de sévérités qui équivalaient à peu près à l’interdiction de toute discussion politique. Le décret nouveau tempère singulièrement la situation de la presse. Ce n’est pas qu’il ne soit lui-même encore suffisamment sévère ; il modifie cependant la législation de l’an dernier sur plusieurs points des plus essentiels. Il diminue les conditions nécessaires pour être éditeur d’un journal. Il abolit le droit de suspension que l’ancien décret conférait à l’autorité administrative. En même temps il défère le jugement des délits de la presse à un tribunal composé de magistrats civils, et non plus au tribunal mobile du jury. Au fond d’ailleurs, par cette dernière mesure, le cabinet espagnol ne fait que réaliser une pensée de bien des hommes politiques de la péninsule, même plus libéraux, qui n’ont qu’une médiocre foi au jury. C’est une institution jusqu’ici trop peu entrée dans les mœurs de ce pays, où trop souvent on cède à l’ardente impression du moment, et où bien des excès resteraient impunis. Dans son ensemble, le décret sur la presse rouvre l’arène à la discussion de tous les intérêts publics dans un moment où le pays a à se prononcer sur la réforme de son organisation politique tout entière. Dans une circulaire adressée aux gouverneurs des provinces en leur transmettant ce décret, le ministre de l’intérieur, M. Llorente, ne met hors des atteintes de toute discussion que deux points : la monarchie personnifiée dans Isabelle II et le principe même du gouvernement représentatif, c’est-à-dire le droit pour le pays d’intervenir dans la discussion de ses propres affaires ; en cela même évidemment les intérêts constitutionnels de la Péninsule se trouvent rassurés et garantis. La plume habile de M. Llorente a su donner une forme nette à la politique mixte inaugurée par le cabinet espagnol à Madrid. Chacun des actes du ministère est une application nouvelle de cette politique conciliante et modérée. Et qu’en résulte-t-il ? C’est que, le premier moment passé, le comité de l’opposition modérée, qui s’était formé en vue des élections sous le précédent cabinet, a tendu insensiblement à se dissoudre, ou plutôt beaucoup d’hommes