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contre 66. Les amis de l’accusé le jugèrent sauvé, victorieux ; ils ne cachèrent pas leurs espérances. Encore deux ou trois votes semblables, et Hastings serait élevé à la pairie; son titre était déjà choisi; le grand sceau était tout prêt dans les mains du chancelier lord Thurlow, qui le protégeait.

Le 13 juin, Fox présenta avec tout son talent le chef d’accusation relatif au traitement infligé au rajah de Benarès. Hastings avait, de son autorité privée, exigé de ce prince des secours non prévus par les traités, et, sur sa résistance, l’avait mis à l’amende. Il en était résulté des troubles, des guerres, la chute de Cheyte-Sing, et trois révolutions à Benarès. Francis, qui avait lutté sur ce point contre Hastings dans le conseil de Calcutta, appuya vivement la motion. Pitt, dont l’habitude était de lui répondre avec un amer dédain, ne le ménagea pas ; il reprit toute la conduite tenue à l’égard de Cheyte-Sing, il la justifia dans toutes ses parties, et il semblait conclure à l’abandon de ce chef d’accusation, lorsque tout à coup il trouva exorbitante l’amende imposée au rajah, et dit qu’il voterait pour la motion de Fox.

Ce fut un véritable coup de théâtre. On alla aux voix; le ministère se divisa dans le vote; Dundas suivit son chef, et la motion passa. Un article adopté en entraînait d’autres, et dès ce moment l’impeachment était inévitable. La conduite de Pitt étonna beaucoup, et fut expliquée diversement. Il était dans la nature de son esprit, ou il fut quelquefois dans sa politique, de faire un choix parmi les motifs d’une opinion, d’écarter les plus nombreux et les plus forts, ceux du moins que les partis jugeaient tels, pour se décider dans le même sens par une seule raison d’une importance secondaire, et se séparer ainsi de ceux mêmes avec lesquels il votait. Peut-être était-ce raideur de caractère; il voulait, même en cédant, paraître résister. Peut-être était-ce prudence; il voulait s’engager le moins possible, et se ménager une issue pour revenir au besoin ou se retirer à propos. Nous le verrons tenir une conduite analogue dans les questions de paix et de guerre, et prendre les mêmes sûretés quand il faudra se décider contre la révolution française. Dans cette occasion-ci, on a recherché ses motifs. On a dit que l’initiative prise par la cour, par le chancelier, par d’autres ministres en faveur de Hastings, l’avaient blessé; qu’il ne pouvait souffrir que l’on protégeât, que l’on honorât par avance un homme que la chambre n’avait pas encore réhabilité, et qu’on regardât comme tranchée une question sur laquelle il n’avait pas dit son dernier mot. Tous ces motifs sont plausibles. Ajoutons qu’il inclinait naturellement à la sévérité morale, toutes les fois que la raison d’état ne faisait pas taire ses scrupules. Il devait y avoir, dans la majorité avec laquelle il comptait, des membres