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consciencieux de qui il n’aurait osé exiger ou attendre le sacrifice d’un sentiment de justice et d’humanité. Comment croire, en effet, qu’un homme tel que Wilberforce, qui venait d’entrer au parlement, eût consenti sans peine à immoler cette fois ses scrupules aux besoins de la politique ministérielle? Nous supposons que Pitt vota contre Hastings, comme il votait contre la traite des noirs.

L’affaire fut interrompue par la séparation des chambres. A la session suivante, Sheridan proposa l’accusation sur le quatrième chef, la spoliation des princesses d’Oude, et prononça le plus beau discours, au dire de quelques témoins, qu’aient entendu les murs de Westminster. Pitt, cette fois encore, se déclara pour la motion, et successivement d’autres charges furent admises, les amis de Hastings cessant désormais une inutile résistance; l’accusation, pour divers crimes et délits, fut dressée en vingt articles, par délibération de la chambre. L’accusé fut arrêté par le sergent d’armes, mais admis à la liberté sous caution, et un comité présidé par Burke eut mission d’aller soutenir la résolution devant la cour des pairs. Dans ce comité, la chambre aurait mis Pitt lui-même, s’il ne s’était récusé, et lord North, si son âge et ses infirmités ne l’en avaient dispensé; mais auprès de Burke on y voyait Fox, Windham, Sheridan et le jeune Charles Grey, qui débutait alors avec la faveur de tous, et qui devait, plus de quarante ans après, jeter un nouveau lustre sur le parti whig par la réforme de 1832.

Le 13 février 1788, la cour s’assembla dans la grande salle de Westminster, dans cette salle haute et vaste comme une église, dont on dit que le toit fut posé par le fils de Guillaume le Conquérant, dans ce théâtre de tant de scènes historiques, et qui ne vit jamais réunie plus nombreuse ni plus imposante assemblée. C’est à M. Macaulay qu’il faut demander de ce procès célèbre le tableau le plus brillant et le plus animé : le rôle qu’y joua Burke nous intéresse seul ici. Il fut chargé d’ouvrir le débat, et il parla pendant quatre jours de suite. Il fit, suivant son usage, un tableau complet. Avec une grande abondance d’idées et de faits, avec un grand luxe d’images et de mouvemens oratoires, il exposa, dans son origine et dans son histoire, tout le gouvernement de l’Inde. Ce discours est resté célèbre; il émut, il troubla l’auditoire jusqu’aux frémissemens et aux larmes, et c’est au milieu d’une assemblée palpitante que l’orateur termina par ces mots :


« Ainsi donc c’est avec une pleine confiance que, de l’ordre de la chambre des communes de la Grande-Bretagne, j’accuse Warren Hastings pour hauts crimes et délits. Je l’accuse au nom de la charnière des communes assemblée en parlement, dont il a trahi la foi parlementaire; je l’accuse au nom de la