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d’une manière révoltante. A la vérité, ce peut n’être qu’une explosion instantanée, et dans ce cas, point d’indice à en tirer; mais si cela est caractéristique plutôt qu’accidentel, ce peuple alors est peu propre à la liberté : il a besoin d’une vigoureuse main, comme celle de ses anciens maîtres, pour le contenir. Il faut aux hommes un certain fonds naturel de modération pour les rendre aptes à être libres; autrement la liberté leur devient funeste, et elle est un danger pour tous les autres. Quel sera l’événement, c’est ce que je crois difficile encore à dire. Former une constitution solide est une chose qui requiert sagesse autant que courage, et si les Français ont parmi eux de bonnes têtes, et si, au cas qu’ils les aient, elles possèdent une autorité égale à leur sagesse, cela reste encore à savoir. En attendant, la marche de toute l’affaire est mi des plus curieux sujets de spéculation qui se soient jamais présentés. »


À ce peu de mots, on voit dans quel sens devaient se développer les idées de Burke. Les événemens, en se pressant, ne pouvaient que fixer promptement ses doutes. Il est probable que sa conversation exprima bientôt un triste et sévère jugement sur la chose paradoxale qui cessait d’être pour lui mystérieuse. Il avait avec des Français quelques correspondances où l’on voit, vers l’automne de 1789, se former comme un orage dans son esprit. L’orage ne tardera pas à éclater.

Ses relations avec Fox n’étaient déjà plus les mêmes, car il montra de l’étonnement d’apprendre que Fox approuvât la révolution française; mais ce dissentiment demeurait secret, lorsqu’au mois de février 1790 Fox, à propos du vote sur les crédits de l’armée, ne retint pas la vive expression de ses sentimens sur le grand événement du monde. Burke aussitôt se leva, et après avoir dit que la confiance seule dans les ministres pourrait accorder une augmentation de l’établissement du pied de paix, et qu’il ne voyait dans l’état de l’Europe absolument aucun motif à cette demande, il prononça cette parole célèbre : « La France doit aujourd’hui, au point de vue politique, être considérée comme effacée du système de l’Europe. » Il ignorait, ajoutait-il, quand elle pourrait recouvrer l’existence politique; mais si la chute était rapide, remonter était lent et difficile. La France avait tout perdu, jusqu’à son nom; en peu de temps, les plus habiles architectes en ruines qui se fussent jamais vus l’avaient réduite à un état où vingt Ramillies, vingt Blenheim, ne l’auraient pas fait descendre. Le gouvernement de Louis XIV n’était qu’une tyrannie dorée, dont une religion intolérante s’était fait l’auxiliaire. Cependant la contagion de l’exemple avait gagné la cour d’Angleterre: heureusement qu’elle n’en sortit pas, et la nation se préserva. Aujourd’hui une distance plus grande ne sépare pas les deux pays, et la France donne un exemple bien autrement dangereux. Le peuple anglais peut être plus facilement séduit par falsa species libertatis que par fœdum crimen