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partis plus animés que jamais. La monarchie avait péri en France. Des réunions politiques, qu’en toute autre occasion on eût dédaignées, agitaient l’Angleterre. Le gouvernement s’armait de mesures de précaution ou de répression. Fox ne reculait pas : il sommait le cabinet d’envoyer un ambassadeur à la république; il s’opposait à l’alien-bill, c’est-à-dire à la loi qui soumettait les étrangers à une police particulière. Le 28 décembre 1792, on discutait la seconde lecture da bill, quand Burke, après avoir de nouveau évoqué à sa manière le sinistre fantôme de la révolution française, annonça que trois mille poignards venaient d’être commandés à Birmingham; puis, en tirant un qu’il tenait caché sous son habit, il s’écria : « Voilà ce que vous gagnerez avec la France; c’est ainsi que vous fraterniserez. Où les principes pénètrent, la pratique doit suivre. Préservons nos esprits des principes français et nos cœurs des poignards français. Sauvons tous nos biens dans la vie et toutes nos consolations dans la mort, toutes les bénédictions du temps et toutes les espérances de l’éternité. » Et il jeta le poignard sur le carreau. On remarqua que, vers la fin de son discours, il dit, en désignant Fox : « Celui qui n’est plus mon honorable ami; » et, traversant la salle, il alla s’asseoir auprès de Pitt. Cette scène théâtrale, préparée avec plus d’artifice que de goût, réussit médiocrement. Elle ne provoqua que cette plaisanterie assez froide de Sheridan, et qui ne fut pas trouvée mauvaise : «Monsieur nous a apporté le couteau, mais où est la fourchette? » Toute cette mise en scène donnerait presque des doutes sur la parfaite sincérité de Burke, si l’on ne savait ce que c’est que les natures déclamatoires.

Les whigs restaient au fond divisés. Dans le langage des partis, on appela les uns les whigs jacobins : c’étaient Fox, Grey, Sheridan et leurs amis; les autres, les whigs alarmistes : c’étaient le duc de Portland, lord Fitzwilliam, lord Spencer, Windham. Burke avait été le premier des alarmistes; mais, s’il était conservateur, contre-révolutionnaire, tory, il n’était pas encore ministériel. Cependant la rupture de toutes négociations pour une fusion, la violence des luttes parlementaires, la marche des événemens en France, devaient imprimer un mouvement plus énergique à la politique du cabinet et la rapprocher de celle de Burke. Lié depuis longtemps avec le duc de Portland et le comte Fitzwilliam, il devint leur conseiller sans voir toujours par eux ses conseils suivis. En même temps il entretint par Windham, qui traitait avec lord Loughborough, des communications avec le ministère. On agitait alors la question de la guerre avec la France, et cette question est si importante, qu’il faut reprendre les choses de plus haut.

Burke n’avait pu attaquer la révolution française sans devenir