Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/470

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’idole de ses ennemis. Dès que son premier ouvrage avait paru, les princes français, émigrés de fait ou de cœur, avaient uni leurs voix aux acclamations de l’Europe couronnée. Nos compatriotes fugitifs qui venaient en Angleterre regardaient comme un devoir de rendre hommage à l’illustre défenseur que le ciel envoyait à leur cause. On ne se contentait pas de l’admirer, on lui demandait des conseils. Il répondait avec réserve, mais il formait cependant chaque jour de plus étroites liaisons avec les Français que la révolution offensa d’abord et persécuta bientôt. Leurs colères et leurs douleurs pénétraient dans son âme, et nous voyons par sa correspondance que, dès le mois de janvier 1791, il conçut la nécessité d’une guerre. La reine Marie-Antoinette, qui cherchait avec une ardente anxiété des conseils qu’elle n’aurait pu suivre quand elle l’aurait voulu, autorisa une des dames de sa maison à entrer en rapport avec lui. Il se borna à des recommandations vagues de prudence, de froideur ; mais avec d’autres il s’ouvrait davantage, il donnait son avis jusque sur des détails. On le voit prendre soin d’écrire à un frère de Rivarol que ce dernier, dont il loue les écrits, devrait davantage ménageries moines. Bientôt il entra en communication plus intime avec ce qu’il faut bien appeler le parti de l’émigration. Son fils, qui avait toute sa confiance et qui partageait ses idées avec la chaleur d’un jeune homme, fut envoyé à Coblentz, auprès de Monsieur et du comte d’Artois, chargé de quelques instructions. — Il serait à propos d’enlever le dauphin et de lui donner, hors de France, une éducation chrétienne ; il serait bien important de ne rien céder, de ne pas même négocier ; surtout point de rapprochement avec Lafayette, non plus qu’avec Barnave ! — Le jeune Burke revint avec une lettre admirablement insignifiante de Monsieur, qui reçut une réponse du même style ; mais l’envoyé repartit et continua à être chargé d’une mission qui n’était pas inconnue du gouvernement. Dundas lui écrivit à lui-même que l’on pouvait à Coblentz compter sur un vif intérêt, mais dans les conditions d’une stricte neutralité. Burke tâchait d’amener le cabinet à se départir de cette neutralité. Il avait dîné avec Pitt pour la première fois de sa vie. C’était en petit comité, à Downing-Street, avec lord Grenville et M. Addington, orateur de la chambre des communes. Burke s’était efforcé d’exciter chez le premier ministre des craintes pour l’Anglegleterre, s’il laissait impunément grandir et se propager les principes français. Il n’avait pas réussi. Pitt ayant dit que son pays et la constitution étaient en sûreté jusqu’au jour du jugement : « Oui, répondit Burke ; mais ce que je crains, c’est le jour sans jugement. » Quelque temps après, une réunion un peu plus solennelle eut lieu chez le duc de Portland, où assistaient aussi les lords Spencer et Fitzwilliam. On, y parla avec découragement de la ruine de la monarchie française,