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l’opinion, surtout dans son propre parti, Pitt désirait la paix malgré quelques-uns de ses collègues, malgré lord Grenville lui-même. Il était disposé à d’assez grands sacrifices, et le directoire, s’il eût été sensé, pouvait traiter à de glorieuses conditions. Après quelques ouvertures indirectes, un plénipotentiaire partit pour Paris. Les mémoires de ce diplomate, lord Malmesbury, ont été publiés, et l’on ne peut plus douter de la réalité, de l’ardeur même des dispositions pacifiques du premier ministre. On y voit, par les lettres de Canning, alors son confident intime, qu’il croyait que l’Angleterre n’était plus moralement en état de continuer les hostilités. Quoiqu’il dissimulât ce découragement, on le devinait, et les amis de Burke, pour qui la guerre était une affaire de principe, ne pouvaient contenir leur indignation : « Pitt, écrivait lord Fitzwilliam, a fait la guerre pour gagner un duc, et il courtise la paix pour conserver un gentilhomme campagnard; il n’est ni jacobin ni royaliste. » — « L’esprit monarchique de ses amis ne brûle pas, écrivait Windham, avec une flamme bien brillante. » De ces amis-là étaient Wilberforce et les siens, que Windham appelle, dans une de ses lettres, des comédiens de vertu, simulars of virtue. On disait que lord Malmesbury avait mis beaucoup de temps à se rendre à Paris : « Je le crois bien, répondit Burke; il a fait toute la route à genoux. » C’est dans ces circonstances, et quoique le parlement eût, en s’ouvrant au mois d’octobre 1796, salué d’une approbation unanime les intentions pacifiques du gouvernement, que Burke écrivait ses quatre lettres sur une paix régicide.

C’est son dernier ouvrage; il ne l’a même pas achevé. Les deux premières lettres seules furent imprimées de son vivant, et la quatrième n’est pas finie. On y retrouve tout son talent, et quelques parties égalent ce qu’il a fait de meilleur. Le titre est déclamatoire, mais l’ouvrage ne l’est pas dans son ensemble autant qu’on pourrait le craindre. Burke ne pouvait s’empêcher de reconnaître qu’un mouvement d’opinion se prononçait pour la paix. Il compare ce mouvement à celui qui arracha, en 1739, la guerre avec l’Espagne à sir Robert Walpole. Il le trouve donc factice, irréfléchi, il l’impute aux manœuvres de l’opposition; mais pour empêcher que le public et le pouvoir n’en soient dupes, il faut leur parler raison, il faut leur montrer à quelles humiliations les expose, et en pure perte, l’arrogance de la république française. Il faut rappeler que l’Angleterre n’est pas dans l’usage de sacrifier l’avenir au présent, et de préférer son bien-être à son devoir, son repos à sa grandeur. Burke s’acquitte à merveille de cette tâche; il s’arme habilement du grand exemple de Guillaume III, et, son idée fondamentale une fois admise, on ne peut nier qu’il ne défende sa cause par la politique et par l’histoire avec une