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tres que nous décideront cette question. L'auteur, M. Herman Melville, est un des conteurs les plus populaires aux États-Unis. En Angleterre même, quelques-uns de ses livres ont obtenu depuis quelques années une certaine vogue ; les premiers surtout (Typee et Omoo), peintures animées des mœurs insulaires polynésiennes, venant à paraître au moment où les luttes de la Grande-Bretagne et de la France, relativement au protectorat des îles Marquises, préoccupaient l'attention publique, participèrent de la popularité acquise alors aux déportemens du missionnaire Pritchard et de la grande reine Pomaré.

Une fois en possesion d'une renommée qui lui donnait libre carrière, M. Herman Melville en a profité pour étendre le champ de ses conquêtes littéraires, et, comme tant d'autres, revendiquer les bénéfices en même temps que les dangers d'une individualité et d'une originalité plus complètement accusées. Nous ne l'en blâmerions point, il s'en faut, si, dans l'essor trop peu modéré qu'il a pris ainsi, il ne nous semblait s'être aventuré un peu plus loin que de raison. Sa verve incontestable, la valeur pittoresque de son style, l'imprévu de ses conceptions, gagneraient, selon nous, à être maintenus sous le contrôle d'un bon sens plus rigoureux, d'un goût plus épuré ; puis, comme Nathaniel Hawthorne, auquel est dédié l'ouvrage que nous venons d'analyser, M. Herman Melville s'est imbu, peut-être plus qu'il ne faudrait, de la prestigieuse philosophie dont Emerson est l'apôtre inspiré. Cette philosophie, nous la goûtons et nous l'adoptons très-volontiers dans ses origines comme dans ses conclusions, mais avec cette réserve cependant, qu'elle ne vienne pas, se mêlant aux réalités de l'ordre le plus positif, — par exemple à des récits de pêche, — introduire des créations purement allégoriques (fantastiques si l'on veut) au milieu de créatures en chair et en os que le voisinage de ces fantômes finit par dénaturer étrangement.

Nous pensons aussi que M. Herman Melville eût gagné à ne point user autant de ces excentricités purement extérieures qui consistent dans une grande prodigalité de titres bizarres, de digressions inattendues, de bibliographie à contre-temps, d'érudition superflue. Il avait assez de talent naturel, d'esprit argent comptant, d'invention réelle pour dédaigner ces semblans dont on a trop abusé à notre époque. Cependant, avec ces réserves, nous n'hésitons pas à reconnaître que l'auteur de Redburn, Mardi, White-Jacket et de the Whale s'est placé à un rang distingué parmi les romanciers américains qui continuent de nos jours, Brockden Brown, Washington Irwing et Fenimore Cooper.