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des plus grandes familles de la Souabe; ses pères ont suivi les Hohenstaufen dans leurs expéditions lointaines; le château de cette forte race était le siège d’une puissance redoutée, et maintenant il ne reste de tant de richesse et de gloire qu’un bâtiment en ruines, une tour habitée par les orfraies, des salons dégradés par la pluie et la neige, un mélange de luxe flétri et d’effrayante misère. Il y a une vraie poésie dans la description de ce manoir lugubre et de ses rudes habitans; mais ce n’est là que le fond du tableau, le cadre d’une histoire pleine d’émotion et de larmes. L’amour, le sacrifice, les plus nobles douleurs humblement supportées, voilà ce que nous montre ce pathétique récit. Hélène Marlowe est une création qui fait honneur au romancier. Placée avec art au milieu des futilités du monde, cette héroïque fille inspire des réflexions bienfaisantes : sait-on combien il y a de ces courageux sacrifices sous les dehors d’une vie insouciante et légère! combien de vertus sublimes sur le théâtre de la frivolité! Le monde aussi a ses légendes; l’écrivain qui les recueille pieusement atteint un but élevé, car il a vérifié ces belles paroles d’Uhland : La vie est triste, la poésie est sereine.

Je n’omettrai pas ici un romancier qui s’est révélé depuis peu, et dont les qualités essentielles sont la finesse et l’élégance unies à un très vif sentiment littéraire. M. Max Waldau a publié un roman intitulé D’après Nature, qui me semble une étude fort distinguée de la société allemande. Si la trame du récit n’a rien de très vigoureux, les peintures sont gracieuses, les détails spirituels, les conversations pleines de souplesse et de brio. A vrai dire, ce sont des entretiens plutôt qu’une action émouvante. M. Max Waldau est surtout un prosateur; il aime l’art; il voudrait que la langue fût l’objet d’une attention scrupuleuse. Je crois apercevoir chez lui quelque chose de cette science de la forme qui fit, il y a vingt-cinq ans, le succès des Reisebilder d’Henri Heine. C’est aussi à l’auteur des Reisebilder qu’est dédié ce livre. M. Waldau nous y conduit très agréablement du Tyrol dans la Silésie, de la Silésie dans le duché de Bade, et il semble vraiment plus occupé du cadre que de la peinture. Attendons qu’il ait mieux concentré ses forces et donné de lui-même un plus vigoureux témoignage. Je lui adresserai un seul conseil : qu’il se défie du dilettantisme. S’il sait éviter cet écueil de son talent, il peut exercer une action utile sur cette littérature qui se réveille.

La plus fertile veine de la littérature allemande, ce sont décidément les récits de la vie rustique. Le succès de M. Berthold Auerbach a suscité toute une école. Je ne dirai pas qu’on a imité le peintre de la Forêt-Noire; il suffisait que l’exemple fût donné pour que chaque contrée de l’Allemagne voulût avoir son romancier populaire. L’Allemagne est riche en traditions locales; ces traditions sont devenues une mine féconde où des mains plus ou moins habiles ont largement puisé. Il y a quelques années, on publiait des travaux historiques sur les duchés, sur les provinces ; on en recueillait les chansons nationales; aujourd’hui on raconte des histoires villageoises. On ne saurait prétendre assurément que les chefs-d’œuvre soient nombreux ; les écrivains dont je parle n’ont pas encore fait oublier le premier volume de M. Berthold Auerbach, ils égaleront difficilement les belles études de M. Léopold Kompert sur les populations juives de l’Autriche, et quant aux peintures de M, Jérémie Gotthelf, elles garderont toujours une place à part, grâce au