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prosélytisme ardent qui en est l’âme. Il y aurait pourtant de l’injustice à méconnaître le talent, ou du moins les inspirations aimables qui se révèlent chaque pur dans cette école. A la tête du groupe que je signale ici, il faut placer un écrivain, sans art il est vrai, sans invention, mais dont les œuvres sont bien remarquables par l’abondance et la fidélité des documens. M. Joseph Rank, déjà connu par d’intéressans tableaux de la Bohême, a publié l’an dernier trois volumes très curieux, consacrés au même sujet : Scènes du Boehmerwald. Ce ne sont pas des romans, ce ne sont pas des nouvelles, ce sont des études nationales. Figurez-vous le carton d’un artiste au retour d’une excursion pittoresque : tableaux de genre, détails de mœurs notés d’après nature, entretiens populaires, fêtes de village, tout cela est soigneusement recueilli par l’auteur. S’il raconte, son récit n’est qu’un prétexte, et on ne lui saurait pas mauvais gré lors même que son récit viendrait à s’arrêter en chemin. L’important pour lui, et il y réussit à merveille, c’est de peindre la vie originale de son pays, de faire connaître les principaux types, de tracer une histoire, non pas publique, mais privée, celle que les historiens ne connaissent guère. Ce qu’a fait chez nous Alexis Monteil pour les Français des temps passés, M. Joseph Rank le fait pour la Bohême contemporaine. C’est aussi en Bohême que nous conduit l’auteur anonyme d’un livre intitulé : Herzel et ses amis[1]; seulement le sujet est ici trop particulier, et quel que soit le mérite de la narration, cette peinture d’une école de village ne devait pas occuper deux volumes. J’aime infiniment mieux les esquisses hongroises de M. Frédéric Uhl. M. Uhl a habité longtemps ces contrées, et son livre : Aux bords de la Theiss nous introduit chez les paysans magyares avec une rare distinction poétique. Je recommande de bien précieuses chansons populaires insérées dans le texte : la ballade de Wuk Jerinitisch est un petit chef-d’œuvre. Que vous semble de tous ces paysagistes? J’applaudis pour ma part à cette direction heureuse. Nous voici loin de l’époque où le romancier ne cherchait qu’à exciter les passions mauvaises ; ici, il n’éveille que le goût de la nature et des courses studieuses. Tous ces livres, et j’en pourrais citer plusieurs autres, ont pris je ne sais quoi de jeune et de frais aux paysages qu’ils retracent; un souffle printanier circule dans cette littérature. Auprès de M. Rank et de M. Frédéric Uhl, plaçons l’intéressant ouvrage de M. Kohl : Esquisses de la nature et de la vie populaire. M. Kohl est un spirituel voyageur qui a décrit avec soin les plus intéressantes contrées de l’Europe ; son dernier livre est une série de recherches sur les particularités les moins connues de certaines provinces allemandes. Les Slaves des environs de Dresde, les montagnards de la Saxe, les habitans des bords du Danube sont l’objet de ses curieuses révélations. M. Kohl n’a jamais écrit que des voyages, mais ce n’est pas sans dessein que je le rapproche des romanciers et des conteurs. Ces études ethnographiques empêcheront le roman populaire de tourner au convenu, elles le préserveront de l’affadissement. Sans méconnaître les droits de l’art, sans refuser un rang supérieur à l’écrivain qui sait dramatiser ce qu’il a vu, et joindre l’émotion poétique à la réalité, l’esprit allemand s’accoutume à chercher dans ses histoires rustiques les fragmens d’une enquête générale sur les plus obscurs enfans de la mère-patrie.

  1. Federzeichnungen aus dem böhmischen Schulleben, Leipzig 1853.