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de Londres, les courses d’automne en Algérie, et surtout ces courses de chaque jour, à travers d’exécrables terrains, où nos soldats ont la, misère en croupe et le péril pour but. Il prétendit qu’avec Embarek il forcerait Miss Annette et Prédestiné à se casser les reins, et, du cheval arrivant au cavalier, il soutint que chasseur d’Afrique ou spahi passerait par plaisir, par devoir, tout simplement même par insouciance, où, aucun pari ne pourrait envoyer ni un gentleman ni un jockey. Tout cela fut dit, il faut en convenir, d’un ton assez emporté, et dans un langage qui n’était pas des plus choisis. Mme de Bresmes pensait, en regardant tour à tour les deux interlocuteurs, que l’un était une fourchette et l’autre un sabre. Elle ne croyait pas être si près d’un cœur.

Une nouvelle discussion qu’elle souleva, pour mettre fin à celle des chevaux, sembla l’éloigner encore de Sidi-Pontrailles. Elle avait entendu parler, dit-elle, d’officiers qui prenaient pour compagnes des femmes indigènes, et faisaient de ces créatures les maîtresses de leur foyer; elle trouvait là une grossièreté d’esprit, une indélicatesse de mœurs qui l’affligeaient pour notre armée. Quel échange de pensées pouvait-on avoir avec une Mauresque ou une Kabyle? Et que devenait la vie intérieure quand tout commerce intellectuel en était proscrit? Irritée par les allures un peu rudes de son cousin, la nièce de Mme de Cerney fit cette dernière réflexion avec une sorte de pédante mignardise dont Pontrailles se sentit froissé à son tour. Aussi, laissant parler une humeur passagère, non point ses vrais et habituels instincts, il traita de besoins factices, dont nous délivrait une existence virile, les plus touchantes, les meilleures exigences de l’esprit. Il glorifia dans la femme orientale la matière heureuse de sa paix; il vanta cet amour dont le sommeil n’a jamais été troublé par des larmes brûlantes tombées des yeux de Psyché. Les trois convives se retirèrent de table fort mécontens les uns des autres, et cependant l’heure s’était déjà levée où deux âmes de plus devaient s’unir en ce monde.

On alla prendre le café sur la terrasse. Quoiqu’on fût alors en octobre, le ciel était d’une douceur merveilleuse. En Afrique, le ciel est comme la mer animé d’une vie passionnée; après ses orageux caprices, il a des instans de calme radieux, il a l’air de vouloir faire oublier, à force de paix et de clémence, ce qu’il a eu d’impétueux, de sinistre et de tourmenté. C’était donc une admirable nuit. Les montagnes dessinaient leurs sombres profils dans une atmosphère transparente; les étoiles se montraient jusqu’en de fabuleuses profondeurs, et l’on sentait sur le paysage tout entier ce charme féerique qui, sans le secours du sommeil, pénètre à certaines heures et notre regard et notre âme de la lumière enchantée des songes.