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lequel son âme s’était épanouie l’avait sauvé et le préservait de ces fantômes funestes. Lorsque son régiment partait des lieux où il avait trouvé les plus doux sourires, il s’en allait avec toute sa gaieté. Le boute-selle mettait fin pour lui à toute une série d’aventures ; c’était un glas qui sonnait joyeusement l’enterrement de ses amours. De là un instinct qui n’était point mort dans ce sein comprimé par le dolman. Si Pontrailles n’avait point fait fructifier ce don de l’idéale tendresse qui est la pièce d’or de l’Évangile, le talent donné par le maître à chacun de ses serviteurs, il n’avait point, comme tant d’autres, laissé tomber son trésor dans la poussière des chemins.

L’Afrique lui avait été salutaire. Le grand air et le commandement avaient exercé une puissante action sur cette nature. Cette vie des postes périlleux et isolés, qui a créé dans notre armée de si énergiques caractères, lui convenait merveilleusement. Toutefois, dans le capitaine de spahis, on retrouvait à chaque instant l’ancien sous-officier de hussards. Mme de Bresmes éprouva donc d’abord quelque peine à se familiariser avec son cousin. Il avait été convenu que l’on coucherait au bordj. Vers six heures, Pontrailles servit à ses hôtes un dîner des plus somptueux pour un dîner du Jurjura. La cuisine arabe et la cuisine française s’étaient ingénieusement combinées. Quelques mets d’une apparence presque parisienne se montraient entre le couscoussou et la tourta. Ces ustensiles inconnus aux Arabes, les couteaux et les fourchettes, étaient en abondance sur la table. Chaque convive avait son verre, et, à côté de la gargoulette où repose l’austère breuvage des musulmans, un vaste flacon était rougi par l’ardente liqueur des chrétiens. Mais le comte de Bresmes professait en matière gastronomique les doctrines les plus absolues et les plus intolérantes. C’était le seul point sur lequel il fît trêve à son habituel scepticisme. Il se mit donc à frapper la cuisine arabe d’une énergique réprobation, puis ses attaques passèrent bientôt à tout ce que renferme l’Afrique et à l’Afrique elle-même. Alors Pontrailles s’éveilla : ce fut sur les chevaux que s’engagea la plus vive et la plus opiniâtre discussion. M. de Bresmes appartenait à cette école de sportsmen qui semble s’être identifiée avec les chevaux anglais et regarder comme un outrage personnel l’hommage rendu à tout animal qui n’a pas du sang britannique dans les veines. Il affirma que le meilleur cheval de Pontrailles ne valait pas le dernier coureur du Champ-de-Mars, que les chevaux arabes étaient disgracieux, tarés, sans allure, propres à porter du reste le soldat français, qui est le plus ignorant des cavaliers, mais indignes d’être montés par des gentlemen et des jockeys. Cette loi de l’hospitalité, sacrée partout et particulièrement dans un bordj, empêcha seule Pontrailles de faire voler une assiette à la tête de son adversaire. Il rappela le pacha d’Egypte défiant vainement le Jockey-Club