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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/563

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avec une profonde émotion ces mouvemens d’un cœur chaleureux, d’un esprit hardi et gracieux s’agitant dans une région où elle n’avait jamais pénétré. Au milieu de cette nuit et de cette solitude, ce qu’elle lisait prenait des formes sensibles : elle s’imaginait avoir sous les yeux les visions de l’étrange château où l’avait conduite son destin.


V.

Mme de Bresmes s’était endormie quelques instans avant le lever du jour; elle avait été prise par un de ces sommeils aux lentes, mais puissantes conjurations, qui vous enchaînent pour longtemps au fond de leurs demeures enchantées une fois qu’ils se sont emparés de vous. Quand elle se réveilla, le soleil inondait sa chambre. Elle se sentit au cœur une allégresse qui, depuis bien longtemps, lui était inconnue. C’était le chant de ces pensées qui s’abattent sur les âmes où fleurit l’amour, comme les oiseaux sur les arbres où s’épanouit le printemps.

Une heure après son réveil, elle apprenait par Pontrailles, sur la terrasse du bordj, que M. de Bresmes venait de partir avec une escorte pour aller chasser le sanglier chez un caïd des environs. M. de Bresmes était un de ces maris qui font croire à l’intervention dans les affaires conjugales d’une puissance mystérieuse protectrice des célibataires. A peine réveillé, il était allé trouver Pontrailles pour lui dire qu’il voulait à toute force se donner le plaisir d’une chasse africaine. L’officier lui avait répondu qu’il ne pouvait point, à son grand regret, l’accompagner, parce que son devoir le retenait à son poste, mais qu’il le ferait chasser tant qu’il voudrait sous la direction d’un honnête caïd et sous la garde d’intrépides spahis. M. de Bresmes était parti; Guillaume était resté, remerciant Dieu d’avoir mis au cœur des hommes le goût de détruire les sangliers.

La journée qui commença pour Pontrailles après ce départ est, avec celle qui l’a suivie, de ces souvenirs qu’on craint de tirer des profondeurs embaumées où ils reposent au fond de nous. Ce sont des fantômes qui expliquent la fable divine d’Eurydice. Des accens magiques les évoquent, un regard peut les faire évanouir. Toutefois je tenterai la conjuration.

Vers trois heures, Pontrailles et sa cousine montèrent à cheval. A ce moment du jour, il y a déjà, dans le ciel si vivant, si mobile d’Afrique, un mouvement sensible pour les yeux et pour l’esprit. Quelques clartés trop vives commencent à s’effacer, et je ne sais quoi annonce l’arrivée des teintes majestueuses. C’est comme un orchestre qui nous prépare, après les danses étincelantes des notes légères, à la