Mais à part ce bruit qui se fait autour d’une invention étrangère, où donc est aujourd’hui le roman français ? C’est M. Alexandre Dumas qui le représente glorieusement. M. Dumas n’avait plus à mener de front qu’Isaac Laquedem et ses Mémoires, où il raconte un peu l’histoire de tout le monde, et voilà qu’il est arrêté tout à coup dans la publication de cet Isaac Laquedem, — l’œuvre de sa vie, comme on s’en souvient. L’auteur était occupé à mettre en feuilletons la vie de Jésus-Christ, à partir de la conception de la sainte Vierge, et le voici cruellement condamné à suspendre ce beau travail là même où a paru cependant le Juif Errant de M. Sue. L’épopée s’éclipse au moment où elle montait à l’horizon, et M. Dumas n’a plus qu’à raconter dans ses Mémoires la révolution de 1830 comme fait essentiellement personnel. La réalité est que nul dans cette révolution n’a dû se remuer plus que M. Dumas, d’après ses Mémoires. Le roman, par aventure, serait-il ailleurs ? Se cacherait-il dans Blondine de Mme Cécile de Valgand ? Peut-être un autre nom se déguise-t-il sous celui-ci ; mais là n’est point évidemment le germe du rajeunissement et de la vie. Cherchons encore : faute d’une meilleure chance, le roman se fait vagabond et marron. Après avoir couru le beau monde, il se met à bon marché et va en bonne fortune auprès du petit peuple qu’il nourrit de saine littérature, de purs sentimens et de bons tableaux de mœurs. C’est le roman à quatre sous. Que ce triste colportage soit au point de vue moral le plus dangereux des pièges, certes cela n’est point douteux. Au point de vue littéraire même, il est le signe de la plus étrange déviation d’idées. Au lieu d’aider l’art à se relever à sa juste hauteur, il l’abaisse au niveau de toutes les curiosités grossières de ce public qu’il va séduire, enivrer et pervertir. Voilà cependant une des plus florissantes spéculations de ces derniers temps ! S’il fallait en juger par là, si on ne savait que malgré tout il y a dans notre pays de bien autres ressources d’esprit et d’intelligence, susceptibles des plus sérieuses applications, par lesquelles la France a exercé une glorieuse initiative dans le monde et qui n’ont besoin que d’un instant de halte propice pour retrouver leur action, ne faudrait-il pas trouver quelque éclair de vérité dans ces mots par lesquels commence une brochure récente : « Les sciences morales et politiques sont, comme chacun sait, fort peu cultivées en France ?… »
D’où vient cependant ce trait lancé contre la France ? Il vient tout droit de Belgique, ce qui serait peut-être un peu étrange, s’il ne fallait y voir une représaille du patriotisme. C’est le premier mot en effet d’un petit livre qui a pour titre : les Limites de la Belgique, et ce n’est pas la seule réponse faite chez nos voisins du nord aux Limites de la France. Ce n’est pas davantage la plus sensée et la plus juste : c’est la plus violente et la plus ardente, et il n’est point inutile parfois de voir ce qui peut fermenter de haines dans certains esprits exclusifs et gallophobes de l’Europe. L’auteur des Limites de la Belgique est, dit-on, M. Lucien Jottrand, fort connu à Bruxelles pour son antipathie contre la France, et qui fit l’an dernier un petit livre dont nous avons parlé : Londres au point de vue belge. M. Jottrand a fait un voyage à Dunkerque, où il a constaté qu’il y avait des enseignes de boutiques en flamand, et il ne lui en a pas fallu davantage pour conclure que le nord de la France devait être annexé à la Belgique. Comme on voit, l’auteur se livre avec un soin patriotique à la recherche des frontières belges. Ce n’est point certes le désir d’agrandir la Belgique qui est étrange. À ceux qui veulent de Paris annexer