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la politique suivie par le nouveau ministre de l’intérieur. D’un côté M. Benavides multiplie les assurances en faveur du régime constitutionnel, de l’autre il combat l’influence de la coalition qui s’est formée entre la fraction dissidente du parti modéré et le parti progressiste. Quant au nouveau ministre des finances, M. Llorente, homme distingué et expert, il vient de signaler son avènement par une négociation des plus épineuses : il a obtenu de quelques capitalistes une avance de 100 millions de réaux sur les produits de la vente des biens du clergé, sanctionnée, comme on sait, par le dernier concordat. Cette somme est destinée à pourvoir aux nécessités de la situation financière, qui ne pourra manquer de s’éclaircir dans les prochaines cortès. Maintenant, que seront ces cortès ? Il serait difficile de le prévoir dans la situation de la Péninsule. Bien des chances semblent se réunir en faveur du ministère. La plus grande, c’est qu’il serait assez difficile de le remplacer par un cabinet purement conservateur, et qu’il serait plus périlleux encore de glisser sur la pente des coalitions et des compromis progressistes.

Par quelque côté qu’on l’observe, l’Europe, dans la mobilité et la variété de son histoire, ne cesse point d’avoir sa physionomie propre. Les problèmes qui s’agitent pour elle, à travers les mille incidens de son existence, ont encore dans leur ensemble un caractère commun qui naît d’un travail universel pour maintenir un certain équilibre entre les peuples occidentaux : travail obstiné qui se poursuit partout, à propos de tout, et qui a nécessairement pour résultat de neutraliser les forces, d’enchaîner les grandes ambitions, de circonscrire le développement de certaines tendances. Cet équilibre, qui est la loi de l’Europe, est ce qui existe le moins au-delà de l’Atlantique où tout se produit dans le désordre gigantesque d’un monde qui se forme et qui prépare peut-être une nouvelle phase de la civilisation. En attendant ces destinées inconnues, ce vaste monde américain continue à se remplir de l’anarchie stérile des uns, de l’ambition conquérante des autres. Tout ce qui pourrait même servir de contrepoids, créer des droits ou des garanties, établir un certain équilibre, semble particulièrement en haine à cette grande race anglo-américaine dont l’audace s’accroît par le succès. Quel est aujourd’hui un des principaux soucis des États-Unis ? C’est d’empêcher que l’Europe n’acquière une situation sur un point quelconque du continent américain, comme si l’Europe était bien menaçante, comme si elle allait même jusqu’à l’extrême limite de son droit pour défendre et sa juste influence politique et les quelques points qui lui restent matériellement dans le Nouveau-Monde ! Dans le dernier message de M. Fillmore, on a vu déjà comment le gouvernement de l’Union a décliné l’offre, faite par la France et l’Angleterre, de garantir par une convention collective l’inviolabilité de l’île de Cuba. Les papiers relatifs à cette négociation viennent d’être communiqués au sénat américain. On peut remarquer dans ces documens le projet de convention préparé par les cabinets de Paris et de Londres, et la réponse faite par le ministre des affaires étrangères des États-Unis, M. Everett.

Comme nous le disions récemment, le cabinet de Washington, si l’on nous passe ce terme, tire son chapeau au droit public en désavouant toute préméditation de conquête officielle contre la possession espagnole, et en même temps il réserve toutes les chances possibles d’une annexion que les circon-