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il faut passer. Un capitaine Bodfish demande cinq cents hommes et se charge de construire en quatre heures une route sur laquelle les trains de l’armée pourront traverser la rivière. Les troupes passent, et les soldats se raillent des Mexicains, qui s’étaient imaginé jouer un bon tour aux Yankees. « La route de Bodfish, dit M. Pierce dans son journal (à moins que la nation mexicaine ne se régénère), sera pour plus d’un demi-siècle maintenant la route sur laquelle passeront les diligences mexicaines. »

Enfin, après plus d’un mois de marche, le général Pierce parvint à atteindre le principal corps d’armée à Puebla, le 7 août. Une semaine après, 19 août, eut lieu la bataille de Contreras. Les troupes américaines étaient commandées par le général Scott, et les troupes mexicaines par le général Valencia. Le général Scott avait pris toutes ses mesures pour empêcher la jonction des troupes de Valencia avec celles de San ta-Anna. Le résultat répondit à ses espérances, et la bataille fut gagnée. Le général Pierce fut blessé pendant la bataille par la chute de son cheval, et, malgré toutes les observations des officiers qui l’entouraient, il se refusa à abandonner son commandement. Sa jambe était brisée, et on lai faisait remarquer qu’il lui était presque impossible de se tenir à cheval. « Eh bien! répondit-il, vous devrez m’attacher sur ma selle, » Il refusa de se retirer et resta jusqu’au complet achèvement de la victoire à son poste. En vain le général Scott le pria de ne pas s’exposer plus longtemps. M. Hawthorne raconte ainsi l’entrevue du général Pierce et du général Scott sur le champ de bataille : « Pierce, mon cher camarade (my dear fellow), dit le général Scott, — et cette épithète familière sur le champ de bataille était la preuve la plus haute de l’estime, venant d’un tel homme, — vous êtes gravement blessé, vous ne pouvez pas vous tenir sur votre selle. — Pardon, général, répliqua Pierce, je le puis et je le dois dans une occasion comme celle-ci. — Mais votre pied ne peut pas toucher l’é trier? — Un de. mes pieds le peut au moins. — Vous êtes obstiné, général Pierce, dit Scott. Nous vous perdrons, et nous avons besoin de vous. Il est de mon devoir de vous faire retourner à Saint-Augustin. — Au nom de Dieu! général, s’écria Pierce, ne parlez pas ainsi! Cette bataille est la dernière grande bataille, et je dois conduire ma brigade. — Le général en chef ne fit plus aucune objection et ordonna à Pierce d’avancer avec sa brigade. »

Quelques jours après la bataille, le général Scott donna une autre marque de sa haute estime pour l’homme qui devait être plus tard son rival et son compétiteur. San ta-Anna, après la journée de Contreras, fit proposer un armistice, et M. Pierce fut nommé par le général en chef un des commissaires chargés de régler les conventions de la trêve. La guerre recommença bientôt cependant, et le général Pierce se distingua encore aux batailles de Molino-del-Rey et de Chepultepec. Telle fut la conduite honorable et courageuse de M. Pierce durant la guerre du Mexique : il n’était point un soldat de profession, il n’avait aucune des connaissances scientifiques nécessaires dans l’état militaire; il se bornait à exécuter avec promptitude et courage les ordres de ses chefs; en un mot, il n’était encore sur le champ de bataille qu’un simple citoyen et un patriote. Toujours modeste, il sut là encore rester à sa place, sans faux orgueil et sans présomption.

Depuis la guerre du Mexique, le général Pierce n’a point pris part à la politique générale de l’Union; il a borné son action et s’est contenté d’exercer