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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/622

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REVUE DES DEUX MONDES.

son influence sur son voisinage, pour ainsi dire. Tous ses actes se rapportent à la politique intérieure du New-Hampshire ; mais cette politique locale touche sur plus d’un point aux grands intérêts de la confédération. Ainsi le général Pierce a soutenu vaillamment, contre les free soilers, si nombreux dans le New-Hampshire, les mesures du compromis Clay, et même, dans une certaine occasion, il n’hésita pas à se prononcer contre un ami personnel, M. Atwood, qui, ayant accepté du parti démocratique la candidature à la charge de gouverneur de l’état, avait, par faiblesse ou par ruse, pris des engagemens secrets avec les abolitionistes et les fee soilers. En 1850, une convention démocratique s’assembla à Concord pour la révision de la constitution du New-Hampshire, et nomma le général Pierce son président. Là, il essaya, sans pouvoir y réussir, de faire abolir une certaine clause de la constitution portant que certaines charges et certains offices politiques ne pourront être remplis que par des protestans. Le vieil esprit puritain, si puissant encore dans les états de la Nouvelle-Angleterre, fit par deux fois rejeter cette proposition de M. Pierce, et maintint, en dépit des idées de tolérance universelle et du principe de la liberté de conscience, cette arme de défense et de guerre. Ce fut là le dernier acte de sa vie politique avant sa nomination à la présidence. En janvier 1852, certains démocrates du New-Hampshire mirent en avant le nom du général Pierce. M. Pierce refusa, et déclara que « l’usage qu’on pourrait faire de son nom dans la prochaine convocation démocratique à Baltimore répugnerait entièrement à ses goûts et à ses vœux. » Le nom du général Pierce, en effet, ne fut point porté sur la liste des candidats démocratiques à la présidence, et ce n’est, comme on peut se le rappeler, qu’après trente-cinq tours de scrutin que le parti démocratique, en désespoir de cause, commença à le prononcer. Au trente-sixième tour de scrutin, la délégation de la Virginie se déclara en sa faveur, et au quarante-neuvième, deux cent quatre-vingt-deux voix s’étaient réunies sur son nom, onze seulement sur ses compétiteurs. On sait avec quel enthousiasme la nomination de cet homme, auquel personne ne pensait la veille, fut accueillie par l’Union entière.

Telle a été jusqu’à présent la vie du général Pierce ; tel est l’homme qui va occuper la première magistrature des États-Unis. Les faits qui remplissent cette vie n’ont rien, on le voit, d’extraordinaire. On a vu à toutes les époques des hommes plus remarquables que leur position, supérieurs aux affaires qu’ils avaient à diriger. Ici, quels que soient les mérites incontestables de M. Pierce, c’est le contraire qui a lieu : la situation est plus forte que l’homme, les faits sont supérieurs à la personne. Il est parfaitement inutile de chercher dans le général Pierce autre chose qu’un homme modeste, libéral, patriote, et un infatigable travailleur. C’est là en résumé le caractère de M. Pierce. Les conclusions à tirer du récit d’une telle vie, c’est l’avenir qui les cache, un avenir prochain dont nous sommes séparés par un mois seulement, et dont les limites extrêmes sont resserrées dans l’étroit espace de quatre années. Nous saurons bientôt si le général Pierce continuera à être ce qu’il a été jusqu’à présent, ou s’il donnera un démenti à sa vie passée en obéissant aux tendances les plus extrêmes de son parti.

Émile Montégut.


V. de Mars.