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dont lord Edward Fitzgerald faisait partie. Le duc de Wellington, qui s’appelait alors le capitaine Wellesley et qui était l’aide-de-camp du lord-lieutenant d’Irlande, s’y trouvait aussi. Tant que dura la séance, le duc, je m’en souviens, ne fit autre chose que jouer au quiz. » Voilà une frivolité un peu niaise pour un homme qui devait être un jour le duc de Wellington. « Les dames aussi, disait Moore dans sa poésie enfantine, qui flairait déjà les grâces malicieuses, les dames, dans les rues ou à la promenade, vont jouant au bandalore pour montrer leurs formes et leur gracieuse tournure. »

Le second essai poétique de Moore fut en l’honneur de son autre jeu favori, le théâtre. Il habitait pendant les vacances une maison au bord de la mer ; une troupe d’enfans s’y réunissait, Moore en fit une troupe de petits comédiens. Sa passion à lui était les rôles d’Arlequin. Son ambition eût été de posséder un véritable habit d’Arlequin. Il rêvait parfois qu’un bon génie venait lui apporter le costume à losanges. Tout ce qu’il put obtenir, ce fut une vieille batte qui avait appartenu à l’Arlequin du théâtre d’Astley. Moore la considérait avec autant de respect et de joie que si elle eût eu la magique puissance que la comédie lui attribue. Vif et preste, il prisait surtout dans Arlequin ses prouesses gymnastiques. Il s’exerçait avec ardeur sur un lit à faire les sauts les plus difficiles, et finit par piquer des têtes avec autant d’audace et de bonheur que son héros. Malheureusement les vacances finirent. Il fallut dire adieu à ce petit monde où pointaient déjà toutes les préoccupations d’un âge plus avancé, « adieu aux petites amourettes, aux ambitions, aux rivalités, dont les premières excitations ont un romanesque et une douceur que nous ne retrouvons plus. » Cet adieu, Moore le rima : « Notre Pantalon, qui paraissait si âgé, va reprendre sa jeunesse, sa tâche, son livre ; notre Arlequin, qui sautait, gambadait, dansait et mourait, il faut maintenant qu’il aille se ranger tremblant à côté de son professeur. » Mais était-ce à une Colombine que s’adressait la pensée du bambin, quand, la larme à l’œil, il disait en finissant : « Quelle que soit la carrière que nous soyons destinés à parcourir, soyez-en sûrs, nos cœurs seront toujours avec vous ? »

Lorsque Moore sortit de l’école de M. Whyte, il avait quinze ans. Voici le bagage d’instruction et d’impressions morales qu’il emportait. Il savait les élémens du latin et du grec ; il savait aussi un peu de français que lui avait appris un pauvre émigré nommé M. La Fosse, et un peu d’italien que lui avait enseigné un bon moine, commensal habituel de la famille ; voilà pour le solide. Sans parler de l’enjouement de son caractère et de ses manières, déjà dégourdies par l’amour et l’habitude des plaisirs mondains, il avait acquis plusieurs agrémens. D’abord, comme on l’a vu, il savait faire des vers ; il en avait même imprimé déjà dans un magazine. Ensuite il avait commencé à étudier la musique. « La musique, dit-il, est le seul art pour