chef de la Revue d’Edimbourg, fit proposer à Moore, par l’intermédiaire de Rogers, d’écrire des articles pour sa revue : « Le brillant succès de quelques-uns des derniers ouvrages de M. Moore, écrivait Jeffrey à Rogers, m’a fait penser à lui, et tout ce que j’ai appris depuis sur la virile et noble indépendance de sa conduite dans des circonstances fort difficiles a augmenté l’ambition que j’éprouve de me lier avec un homme d’un tel talent et d’un tel caractère. J’apprends qu’il vit sans profession, cultivant dans la retraite la littérature et le bonheur domestique. J’ose donc espérer qu’il pourra trouver, de temps en temps au moins, le loisir d’écrire un article, s’il n’a pas d’objection d’ailleurs à s’enrôler parmi nous. » La Revue d’Edimbourg avait alors une publicité énorme pour une revue ; elle se tirait à 13,000 exemplaires. Ce succès, qui montre le large auditoire ouvert en Angleterre à la littérature élevée, permettait à la Revue d’Edimbourg de donner à ses collaborateurs une rémunération digne du labeur littéraire. Les articles ordinaires étaient payés 20 guinées (500 francs) la feuille de seize pages, les articles particulièrement soignés 30 guinées, et dans certains cas beaucoup plus. C’était dans cette dernière catégorie que Jeffrey plaçait les travaux qu’il demandait à Moore. « Quant à l’augmentation au-delà de trente guinées, j’ai quelque initiative dans cette matière, disait-il, et ne suis point disposé à en user avec parcimonie. » Moore répondit à ces ouvertures, et travailla de temps en temps pour la Revue d’Edimbourg ; mais où il put apprécier, d’une façon singulièrement fortunée pour lui, ce qu’on pourrait appeler le taux de sa popularité poétique, ce fut à l’occasion de la vente de son poème oriental, Lalla-Rookh.
Il avait commencé Lalla-Rookh en 1813, lorsqu’il était encore à Kegworth ; il le termina à Mayfield-Cottage. Il est inutile d’insister ici sur un poème si connu. On sait qu’il se compose de trois épisodes, le Prophète voilé, les Adorateurs du feu, la Lumière du harem, reliés par le fil léger d’un récit en prose. La poésie anglaise avait l’air, en ce temps-là, de faire la conquête de l’Asie : Byron, Southey, Moore, s’y précipitaient à la fois comme les Clive et les Hastings de l’imagination. C’était un mouvement comme celui que nous avons vu plus tard en France entraîner la peinture vers l’Orient, à la suite de Decamps, de Marilhat, de Delacroix. Moore, asiatique par l’imagination, voulut l’être par l’érudition et l’exactitude. Il se nourrit, dans la bibliothèque de lord Moira, de tout ce qui a été écrit sur l’Orient. Il n’y a, pour ainsi dire, pas une image dans Lalla-Rookh qui ne soit empruntée aux mœurs, à la religion, à la nature de l’Inde, de la Perse et de l’Arabie. Si l’on a reproché quelque chose au poème de Moore, c’est l’accumulation exagérée des magnificences asiatiques, la prodigalité exubérante de cette orfèvrerie de langage dont il était