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côte septentrionale de Bornéo, si les possesseurs de Java eussent mis plus d’empressement à donner aux droits qu’ils tenaient de la compagnie des Indes toute l’extension dont ces droits étaient susceptibles; mais le gouvernement néerlandais avait une entière confiance dans l’esprit qui semblait avoir dicté le traité de 1824. Il croyait les Anglais résolus à ne plus mêler dans l’archipel indien les deux dominations, et trouvait plus d’avantage à consolider l’œuvre de M. Van den Bosch qu’à s’emparer de territoires déserts ou improductifs. En un mot, la Hollande attendait flegmatiquement de meilleurs jours pour étendre sa domination sur Bornéo, ne doutant pas que cette île tout entière ne fût destinée à subir le sort des états de Sambas et de Banjermassing, puisque l’Angleterre n’avait point fait, en faveur du sultan de Bruni, les réserves qui protégeaient à Sumatra l’indépendance du sultan d’Achem. S’il n’eût fallu craindre que les projets du gouvernement britannique, cette confiance de la Hollande n’eût point été peut-être exagérée : le cabinet de Saint-James devait avoir, depuis 1830, d’autres préoccupations que de grossir le nombre de ses embarras et le chiffre de ses colonies; mais l’Angleterre nourrit une race d’agens officieux, touristes enthousiastes qui s’en vont sonder à leurs frais tous les coins du globe, et dont l’ardeur, secondée par les vœux jaloux du commerce britannique ou par la fougue du prosélytisme religieux, a souvent entraîné le gouvernement à sa suite. La première tentative qui vint alarmer la Hollande fut le fait d’un de ces esprits aventureux. En 1835, M. Erskine Murray débarqua en armes sur.la côte orientale de Bornéo, à l’embouchure de la rivière Kouti. Cet officier fut tué par les indigènes, et son projet périt avec lui. Sur la côte opposée, une entreprise semblable rencontra un meilleur succès. M. Brooke était, comme M. Murray, capitaine au service de la compagnie des Indes. Biche et avide d’émotions, il parcourut, pendant plusieurs années, l’archipel indien sur un yacht de plaisance. En visitant la partie indépendante de Bornéo, il reconnut dans cette île l’existence d’une race opprimée dont l’affranchissement pouvait servir de base à un plan de colonisation. Cette idée s’empara de son esprit. Il renonça au service militaire, vint s’établir dans les états du sultan de Bruni, et acheta sur les bords de la rivière de Sarawak, au prix d’une rente d’environ 20,000 fr, la propriété perpétuelle de quatre mille hectares de terre. Il ne s’en tint point là; il voulut devenir rajah de Sarawak, et, au mois d’août 1842, l’intervention de la marine anglaise obligea la cour de Bruni à lui conférer cette dignité. Le misérable despote qui régnait à Bruni avait donné alors toute la mesure de sa faiblesse. On lui imposa la cession au gouvernement de la reine d’un îlot peu important en lui-même, puisqu’il n’avait qu’un mille de large et deux milles de long, mais qui commandait toute la baie de Bruni et la capitale même du sultan. Au mois de juin 1846,