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l’herbe des champs attend la rosée des nuits, comme les grands arbres se confient pour alimenter leur sève aux sucs nourriciers de la terre. C’était le bonheur insouciant du sauvage abrité sous l’aile d’une philosophie bienfaisante.

La chaleur cependant était devenue accablante. Il fallait se rendre aux douceurs énervantes du climat, Européens et Javanais m’en donnaient l’exemple. Je me décidai à me jeter sur mon lit ; je n’y trouvai qu’un sommeil agité. Vers quatre heures, l’orage qui grondait depuis quelque temps dans les gorges profondes du Guédé s’abattit sur le jardin comme une avalanche. La foudre dardait de tous les points du ciel ses langues fourchues, le vent soulevait des nuages de poussière, et la maison ébranlée tremblait sur ses fondemens. Cette convulsion violente ne dura que quelques minutes. Réveillé par l’orage, je me hâtai de m’habiller, car un nouveau repas m’attendait. Entre le déjeuner et le dîner on n’avait mis que l’intervalle de la sieste. N’allez point croire à ce trait que les Hollandais aient apporté dans les Indes l’appétit de Pantagruel. Mon Dieu ! non : une foule de plats couvre, il est vrai, la table, mais ces plats n’obtiendront des convives qu’un sourire dédaigneux. Le dîner, à tout prendre, n’est à Batavia qu’une coutume importune. Si l’on en avance l’heure, je croirais volontiers que c’est pour en être débarrassé plus tôt. La soirée est au contraire le moment où la gaieté renaît, où les amis se visitent, où les causeries de tous côtés s’éveillent. La température pendant la journée s’élève souvent jusqu’à 32 degrés centigrades ; elle redescend aux approches de la nuit à 22 et 23 degrés. Le voyageur qui n’aurait visité Batavia que pendant le jour n’envierait point, à coup sûr, le sort de ses habitans. Celui qui pourrait y arriver avec les premières ombres du soir pour en sortir une heure après le lever du soleil s’imaginerait avoir traversé ces champs délicieux que les Grecs n’avaient osé placer que sur l’autre rive du Styx.

J’aurais pu, sans sortir de chez le docteur Burger, étudier dans ses moindres détails la vie intime des colons hollandais, de ceux du moins dont la fortune est faite, et pour lesquels l’île de Java est devenue une seconde patrie. En se retirant des affaires, ces heureux créoles ont songé pour la plupart à fixer leur résidence en Europe ; lorsque l’hiver est arrivé avec ses frimas, ils se sont pris à regretter leur beau paradis des Indes, leur existence somptueuse et facile, et ils sont revenus à Batavia, non plus pour y demander un salaire au gouvernement ou tenter d’y grossir leur fortune, mais pour y passer la vie plus doucement qu’ailleurs. L’entretien d’une maison entraîne cependant à Batavia des frais considérables. Le budget d’un modeste ménage y dépasse souvent le chiffre des appointemens attribués en France à un lieutenant-général : trente mille livres de rente constituent à peine