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Lucie, à Curtatone, à Vicence, et la capitale de l’empire, qu’une poignée d’étudians et d’émeutiers tenait sous sa domination, jetait aux égouts ces trophées. Il est beau de voir éclater l’indignation du soldat au souvenir de pareils opprobres : « Ces temps douloureux, ces temps ignobles, aucun de nous ne saurait se les rappeler sans frissonner d’horreur et de dégoût. Nous repoussions partout l’ennemi, partout en Italie nous relevions le sceptre impérial et la dignité de la maison d’Autriche, et pendant ce temps s’écroulait en poussière l’œuvre de tant de siècles, l’héritage sacré de tant de souverains que nous défendions au prix de notre vie. Et dire que l’ennemi nous clouait à notre place et nous empêchait de voler au cœur de cette patrie où nous appelait la voix de l’honneur et de la foi jurée ! Que de fois, du milieu de la canonnade, nos yeux se retournèrent avec anxiété du côté de Vienne, car là s’agitaient, nous le savions, des adversaires bien autrement puissans et redoutables que ceux que nous avions en face ! »

À peine remis des fatigues de Curtatone et de Vicence, le maréchal Radetzky s’apprêtait à poursuivre sa marche en avant, lorsqu’un matin une dépêche de l’empereur Ferdinand lui arrive d’Innsbruck. À cette lecture, le vieillard pâlit, sa main tremble, ses sourcils se froncent. Ce que contenait ce message, c’était l’ordre de proposer immédiatement l’armistice à Charles-Albert. Lui, Radetzky, s’humilier devant son rival et tourner brusquement le dos à la fortune qu’il voyait, après tant de traverses héroïquement endurées, revenir sous ses drapeaux ! « Un boulet de trente-six qui fut tombé à mes pieds, racontait-il plus tard, m’eût semblé la colombe de l’arche auprès de ce message de malheur, inspiré, je n’eus pas grand’peine à le reconnaître, par le machiavélisme combiné de Batthyany et de Palmerston ! » Que faire cependant ? Soldat, son premier mouvement fut de se résigner et d’obéir. La rougeur au front, l’âme navrée, il commence une dépêche au roi de Piémont ; mais bientôt la plume lui tombe des mains, il a trop présumé de ses forces. Non, avant de consommer un pareil acte, il tentera auprès de son empereur une dernière démarche. L’épître à Charles-Albert vole en morceaux ; il se lève, fait quelques pas, puis se rassied et supplie son gracieux maître de révoquer son ordre ou d’accepter sa démission, l’assurant d’ailleurs d’une prompte victoire au cas où les motifs qu’il développe seraient accueillis. Sa dépêche écrite, le maréchal envoya chercher, pour la porter en toute hâte à l’empereur, l’homme à ses yeux le plus capable, par sa connaissance de la situation et les ressources de son esprit, de mener à bien l’entreprise. Le général Félix Schwarzenberg était alors fort souffrant de sa blessure reçue à Goïto. On raconte qu’en apprenant la mort de l’empereur Charles VI, le grand Frédéric sauta à bas de