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plus, et quant aux munitions, on en manquait absolument. Le conseil, d’un avis unanime, décida qu’il fallait demander à capituler. L’occasion s’offrait trop belle pour que le parti républicain la laissât échapper. Tradimento ! s’écrièrent les furieux, et les équipages de Charles-Albert, qui s’apprêtaient à quitter la ville, pillés et mis en pièces, servirent à fabriquer des barricades autour du palais Greppi. Scène émouvante et solennelle de cette romantique épopée de la vie de Charles-Albert ! Le roi paraît à son balcon. « Vous le voulez, dit-il d’une voix ferme, eh bien ! soit ! je resterai, mais à une condition, une seule, vous m’entendez tous, — c’est que vous vous battrez ! » Et la foule de répondre : — « Cent mille bras italiens se lèveront pour la liberté de l’Italie ! — Pas de phrases, ajoute le monarque, mais battez-vous ! » Et là-dessus il rentre et s’enferme. Cependant l’émeute se recrute, la capitulation lui fournit son mot d’ordre, encore quelques instans, et cette ville qu’un empereur et qu’un roi se disputent va devenir la proie d’une horde de forcenés. C’est alors que l’armée piémontaise, avertie des périls qui menacent son auguste chef, interrompt tout à coup sa lutte avec l’Autrichien, et braque résolument ses canons sur Milan, qui se voit à la fois tenu en respect par les ennemis et par ses propres alliés. Le duc de Gênes, — ce fils que Charles-Albert entourait entre tous d’une prédilection particulière, — le duc de Gênes se fraie un chemin jusqu’au palais Greppi ; mais à peine a-t-il essayé de haranguer cette multitude, qu’une immense clameur couvre sa voix et ne lui permet pas de s’offrir en otage pour sauver les jours de son père. Des coups de feu partent d’en bas, et les balles viennent trouer le plafond de la chambre où le roi, la pâleur au front, le dédain sur la lèvre, calme et silencieux, attend la fin de cette scène, triste et misérable plagiat du 10 août, qui devait avorter grâce à l’ingénieux dévouement des généraux de La Marmora et Tonelli, sortis secrètement du palais par une fenêtre de derrière, au moyen d’une échelle oubliée là. Ils courent sonner l’alarme parmi les soldats et reviennent bientôt, au pas de charge, avec une compagnie de la garde et des bersaglieri. Il était grandement temps, car la populace, que dispersa la seule vue des baïonnettes, charriait déjà le baril de poudre destiné à faire sauter la tour du palais. Le roi se rendit à pied au milieu de ses troupes et donna l’ordre de la retraite.

On sait l’histoire de l’armistice du 9 août 1848, et comment cette convention de six semaines, après s’être prolongée quelque temps de l’aveu tacite des deux partis, avait fini par aboutir à un état qui n’était ni la paix ni la guerre, et que Charles-Albert, cédant à d’aventureuses sollicitations, rompit brusquement un matin. Chose étrange et curieuse que la situation respective des deux pays et des deux camps à cette période : du côté de l’Autriche, c’était l’armée qui voulait