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mort. Haynau quitte son quartier-général de Padoue, s’empare du commandement, et va foudroyer la ville du haut de la citadelle, lorsqu’un prêtre se présente en parlementaire, et lui annonce que, les insurgés étant maîtres de l’hôpital, il doit s’attendre à ce que chacun des coups qu’il s’apprête à tirer sera suivi du massacre immédiat d’un soldat autrichien. On le voit, ce n’est plus la guerre, mais le carnage, l’extermination. Adieu Charles-Albert et ses braves Piémontais, adieu les antiques traditions du code militaire ! Il s’agit maintenant d’assiéger dans leurs forteresses les bandes fanatiques de Mazzini. À ce siège de Brescia d’horribles souvenirs sont restés attachés, et comme il faut toujours aux partis vaincus un bouc émissaire sur lequel s’acharnent par la suite leurs haines inextinguibles et leurs posthumes anathèmes, le général Haynau fut chargé de toute l’exécration de cette néfaste journée. Ainsi nous avons vu durant plus de dix ans le maréchal Bugeaud, malgré le témoignage irrécusable de sa parole, malgré des explications écrites maintes fois renouvelées, accusé impitoyablement des massacres de la rue Transnonain. L’euménide révolutionnaire est aveugle et secoue au hasard la torche de ses vengeances ; malheur à celui sur qui tombe l’étincelle fatale ! Jusqu’à la fin, et quoi qu’il fasse, il en subira l’incurable morsure. Convaincu de cette vérité, le général Haynau a pris son mal en patience, et porte ce stygmate d’impopularité comme une cicatrice de plus sur son visage balafré. Ce qui du reste suffit pour dénoncer un homme de guerre à la fureur des partis, le sait-on jamais bien ? Une anecdote de journal, moins que cela, un air de tête qui déplaît, une façon plus austère et plus âpre d’exercer le commandement. À ce compte, le général Haynau, par son œil d’oiseau de proie, sa longue moustache grise et sa physionomie rébarbative de vieux pandour, avait des droits naturels à cette renommée de chat-tigre qu’on s’est plu à lui faire, et, chose assez étrange, cette renommée existe beaucoup plus à distance, — à Paris ou à Londres, par exemple, — que sur les lieux mêmes où le soldat sauvage aurait commis les détestables cruautés qu’on lui impute. Serait-ce qu’il en est de cette qualité de bête féroce comme de la qualité de prophète, que nul n’exerce en son pays ?

J’étais en Hongrie au milieu des événemens qui terminèrent cette triste guerre, et je puis presque dire que j’entends encore tinter à mes oreilles les vibrations lugubres de la cloche d’Arad sonnant l’agonie et les funérailles de quelques-uns des infortunés chefs de la révolution. Eh bien ! à cette époque et sur ce terrain encore tremblant des commotions civiles, le nom du général Haynau n’avait rien de ce caractère odieux, infâme, dont on l’a depuis entouré. Ceux-là même qui maudissaient davantage l’Autriche n’avaient pour le vainqueur de