Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/715

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Notre intérêt et notre honneur exigent que la solution ne se fasse plus attendre. Divers essais tentés sous le gouvernement de juillet ont malheureusement avorté ; puis sont venues les révolutions. Aujourd’hui la sécurité matérielle est rétablie ; les capitaux et les intelligences se portent avec ardeur vers les spéculations de l’industrie et du commerce ; les principes de l’association se développent et s’appliquent à la construction des chemins de fer, qui, dans peu d’années, couvriront notre territoire. Toutes les imaginations et, ce qui vaut mieux, tous les bras travaillent. Le gouvernement doit encourager cet heureux mouvement, et le diriger vers les entreprises d’utilité nationale. Au premier rang se présentent les paquebots transatlantiques. Ne sont-ce pas les chemins de fer de l’Océan ? Mais, avant de se mettre à l’œuvre, il importe de se rendre compte des besoins et des intérêts qui se rattachent à cette grande question. Il ne suffit pas d’éviter un nouvel échec, il faut aussi que les services soient établis dans les conditions les plus favorables pour l’industrie, le commerce, la navigation et la défense du pays ; il faut profiter des études qui ont été faites depuis 1840 et de l’expérience de nos concurrens. Alors seulement on sera en mesure de décider quelles sont les lignes qu’il convient de créer, — quels doivent être les points d’arrivée et de départ, le mode et les conditions financières de l’exploitation.


I

Le projet de loi présenté en 1840 par M. Thiers, pour la création des lignes de paquebots, fut accueilli par les deux chambres avec un égal empressement : les pouvoirs publics comprenaient que la France devait, même au prix de sacrifices considérables, se lancer dans les voies que la vapeur avait ouvertes. À cette époque, la marine commerciale de l’Angleterre comptait 840 steamers, représentant une force de 64,700 chevaux, alors que nous ne possédions encore qu’un petit nombre de navires attachés au service de la Méditerranée et quelques remorqueurs à l’entrée des ports et des fleuves. Il y avait dans cette comparaison un argument décisif : l’honneur national était en jeu. La pensée exprimée par le président du ministère du 1er mars répondait ainsi à l’une des plus vives préoccupations du pays, et les chambres se hâtèrent d’y donner suite. Les rapports rédigés par MM. de Salvandy et Daru attestent l’intérêt sérieux qu’inspirait l’établissement des communications transatlantiques ; ils préparèrent la loi qui fut promulguée le 16 juillet 1840. En vertu de cette loi, le ministre des finances était autorisé à traiter, dans le délai de six mois, avec une compagnie commerciale, pour le service du Havre à New-York, moyennant une subvention annuelle qui ne pouvait excéder 880 francs par force de cheval ; le nombre des paquebots devait être de trois au moins et de cinq au plus. On créait en outre, aux frais et pour le compte de l’état, deux lignes principales desservies par des navires de 450 chevaux : l’une partant de Bordeaux tous les vingt jours et de Marseille tous les mois pour les Antilles françaises et étrangères ; l’autre partant tous les mois de Saint-Nazaire à destination du Brésil. Enfin trois lignes secondaires, se rattachant aux lignes principales et desservies par des navires de 220 chevaux, devaient aboutir au Mexique, à l’Amérique centrale et à Buénos-Ayres. Une somme de 28 millions, répartie entre quatre exercices, était mise à la disposition