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Quant au tonnage, il serait impossible d’établir une règle précise. Dans les steamers anglais, le chiffre du tonnage est double, triple, parfois quadruple de celui qui représente la force en chevaux de vapeur. Les contrats passés entre l’amirauté et les compagnies ne fixent point de maximum ni de minimum : les compagnies sont libres de donner à leurs bâtimens les dimensions et la capacité qui leur conviennent ; le gouvernement se borne à leur imposer des conditions de vitesse pour chaque section de parcours, en stipulant le paiement d’amendes assez fortes en cas de retards non justifiés. Ce mode est à la fois le plus sage et le plus simple. Il n’y a pas en effet d’industrie plus variable dans ses élémens, plus progressive que celle des constructions navales. En 1840, un steamer de 2,000 tonneaux eût été considéré comme une merveille ; aujourd’hui, cependant, ce chiffre rentre dans les limites ordinaires, et déjà les calculs des ingénieurs, dépassant toutes les hardiesses de l’imagination, promettent des navires de 5,000 tonneaux, qui se rendront en droite ligne de Southampton à Calcutta, sans être obligés de renouveler en route leur approvisionnement de charbon. Il en est du tonnage comme de la puissance de la vapeur : partout on procède par accroissemens énormes dans les proportions jusqu’ici connues ; on cherche une combinaison qui procure l’économie en même temps que la vitesse ; la trouvera-t-on au bout de ces conceptions gigantesques qui semblent un défi jeté à l’Océan ? Quoi qu’il en soit, c’est aux compagnies qu’il appartient d’étudier ces intéressans problèmes, et le gouvernement, qui profitera pour son propre compte des expériences faites sous ses yeux, n’a point à intervenir dans la question de tonnage. Encore moins doit-on réglementer la calaison des navires et fixer un minimum de tirant d’eau. Ce sont là des détails de construction qui ne relèvent que du jugement des concessionnaires, et il serait même désirable que le tirant d’eau fût plus faible que celui des paquebots anglais ou américains (près de 7 mètres), car les navires qui présenteraient une profondeur aussi grande éprouveraient beaucoup de difficultés à entrer dans la plupart de nos ports.

Nous arrivons à l’examen de deux points très importans, qui touchent à des intérêts particuliers et locaux, et qui ne peuvent être décidés qu’après de mûres réflexions. La concession des paquebots transatlantiques sera-t-elle faite à une ou à plusieurs compagnies ? Les lignes partiront-elles d’un ou de plusieurs ports ? — Il suffit de savoir que différentes compagnies briguent instamment la concession fractionnée ou collective des trois services, et que chacun de nos principaux ports réclame au moins l’une des lignes à établir, pour se rendre compte de l’agitation extrême que soulèvent ces deux questions. Le Havre, Cherbourg, Lorient, Nantes, Bordeaux et Marseille, c’est-à-dire six ports et un nombre de compagnies à peu près égal se disputent les trois lignes. Les uns se tiendraient satisfaits d’en obtenir une ; les autres, plus ambitieux, les voudraient toutes. À quel système, à quel port sera accordée la préférence ? Quelle que soit la décision, il y aura plusieurs ports qui se prétendront sacrifiés. Quand on se trouve ainsi en face de passions ardentes qu’envenime une rivalité d’ailleurs fort naturelle, il faut prendre hardiment son parti, et marcher droit dans la direction de l’intérêt général. Un seul port, une seule compagnie, telle est la solution qui nous paraît devoir être adoptée.

Sous le rapport de l’économie, il ne saurait subsister aucun doute sur l’avantage que présente un point de départ unique. Si tous les services transatlantiques