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sont réunis dans un même port, les frais d’administration, tant pour le personnel que pour le matériel, seront évidemment beaucoup moindres. La compagnie, au lieu d’entretenir pour chaque ligne un navire de réserve, soit trois navires pour les trois lignes, pourra, avec deux navires seulement, être en mesure de parer à toutes les éventualités et de garantir la régularité des voyages. Il y aura un seul magasin pour les marchandises, un seul chantier pour les réparations, un seul atelier pour les machines, un seul dock pour le stationnement des paquebots. En Angleterre, cet argument serait moins décisif : les onze navires que fait construire en ce moment la Compagnie Péninsulaire et Orientale sont répartis entre cinq chantiers situés dans cinq ports différens. L’immense développement des opérations maritimes a déterminé sur toutes les côtes l’érection d’usines fortement organisées qui peuvent exécuter immédiatement, et avec leurs seules ressources, les commandes les plus considérables. Les principaux ports possèdent des docks et des cales qui donnent accès aux plus grands navires. En France, au contraire, la plupart de ces ressources nous manquent encore : docks, usines, tout est à créer, ou du moins à compléter, par une organisation nouvelle et au prix de sacrifices très coûteux. Il serait donc plus économique de concentrer, quant à présent, tous les travaux dans l’un de nos ports. Cette considération est à nos yeux très puissante ; elle ne suffirait pas cependant, il faut le reconnaître, pour justifier la proposition, et les ports, qui se préoccupent bien plus de leur intérêt que de celui du trésor, affirment qu’elle doit fléchir sous les exigences du commerce et des communications postales. Ainsi, Lorient soutient qu’il est le point le plus rapproché des États-Unis, et que dès lors la ligne de New-York lui est naturellement dévolue. Nantes et Marseille pour la ligne du Brésil, Bordeaux pour celle des Antilles, invoquent le même argument et s’appuient sur l’importance de leurs relations avec ces contrées. Le Havre, plus éloigné des rivages du Nouveau-Monde, fait ressortir sa proximité de Paris, la facilité et la rapidité de ses communications avec l’Allemagne et la Suisse, l’accroissement de ses échanges transatlantiques. Enfin Cherbourg se présente dans le débat et retient à son profit toutes les lignes. Il déclare que l’intérêt militaire lui donne d’incontestables droits, et que l’achèvement du chemin de fer qui doit le relier à la capitale lui permet de servir, autant et même mieux que le Havre, les intérêts du commerce, des correspondances et des passagers. — Telles sont les prétentions qui assiègent depuis plusieurs mois les conseils du gouvernement : la presse locale, les assemblées municipales, les chambres de commerce, élèvent partout la voix. Nous assistons de nouveau aux luttes qui se livraient, en 1840, 1845 et 1847, au sein des commissions législatives, et les discussions sont d’autant plus vives, que l’on pressent l’approche d’une sérieuse décision. En même temps qu’il exalte ses propres mérites pour établir sa supériorité, chaque port est amené à dénigrer ses rivaux, et l’observateur impartial se trouve pris entre un feu croisé de critiques et de récriminations qui intimident son jugement. Le vent, la marée, les bas-fonds, le brouillard, jouent un grand rôle dans la lutte, en sorte que si l’on ajoutait foi aux divers organes de cette curieuse polémique, il n’y aurait peut-être pas en France un seul port en état de recevoir des paquebots.