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commerce transatlantique qui s’effectue par la Manche est beaucoup plus important pour une ligne de paquebots que le commerce des places situées sur les rives de l’Océan ou de la Méditerranée.

Si l’on agrandit le cercle de la comparaison et que l’on envisage l’intérêt du transit, la supériorité des ports de la Manche devient encore plus manifeste. C’est par la France que doivent passer les marchandises, les voyageurs, les correspondances de l’Europe centrale à destination des deux Amériques : la France est en quelque sorte au seuil de l’Europe et de l’Océan, position merveilleuse qui rend l’étranger tributaire de notre sol. Déjà Strasbourg et Mulhouse sont reliés au Havre par des chemins de fer : on achève en ce moment le chemin de Cherbourg. Pour ces riches et populeuses contrées allemandes qui accroissent chaque jour leur commerce extérieur, et dont les habitans se sentent entraînés vers les rivages américains par un attrait presque irrésistible, la route est toute tracée, — Paris et la Manche. Il n’en est pas qui soit plus directe et moins coûteuse. Pourquoi détourner ce courant ? Si dans l’emplacement des services transatlantiques on néglige les intérêts et les convenances de la Suisse, de l’Allemagne, de la Prusse, on court risque de perdre une grande partie de notre transit, qui passerait à l’Angleterre ou s’écoulerait par les ports anséates, hollandais et belges. Southampton et Liverpool, Anvers, Brème, Hambourg, se hâteront de profiter de notre erreur en se partageant les transports dont nous n’aurons pas su garder le bénéfice. Que l’on établisse ailleurs que dans la Manche le principal point de départ des lignes du golfe du Mexique et du Brésil, les Allemands du nord qui se rendront en Californie par Chagres ou dans l’Amérique du Sud iront s’embarquer à Southampton ; les correspondances et les marchandises de luxe, qui suivent d’ordinaire la route des voyageurs, échapperont à nos paquebots, et ceux-ci n’auront plus alors, pour alimenter leur vaste tonnage, que le mouvement français au lieu du mouvement européen. Toutes les raisons que l’on peut alléguer en faveur de la Méditerranée et de l’Océan ne changeront pas le cours naturel des choses ; la Manche est, pour ainsi dire, le confluent de l’Europe financière et commerciale : c’est là que nous devons nous placer, en face de l’Angleterre et sur le chemin de ses ports.

On compte dans la Grande-Bretagne et aux États-Unis plusieurs places de premier ordre où le crédit et les transactions présentent une activité à peu près égale : par exemple, Londres et Liverpool, New-York et la Nouvelle-Orléans. On s’explique que dans ces deux pays divers ports soient en mesure d’entretenir avec leurs propres ressources des lignes de paquebots. En France, au contraire, Paris est demeuré le centre des opérations de banque et du commerce d’exportation. Paris prête ses capitaux et donne l’impulsion aux différentes branches de l’industrie nationale, aux manufactures comme aux arméniens ; il exerce sur toute la France une influence prépondérante. Que cette influence soit excessive, regrettable à beaucoup d’égards ; que l’on en prenne texte, suivant l’usage, pour faire le procès à la centralisation, ce n’est point là ce qu’il s’agit de discuter. Le fait existe : quelle conséquence faut-il en tirer en ce qui concerne l’emplacement des services transatlantiques ? — C’est que les points de départ doivent être surtout rapprochés de Paris, où viennent aboutir les correspondances, les ordres de vente et d’achat ;