Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/737

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fortement leurs armées et leurs flottes ? Nous n’avons à prendre conseil que de nos intérêts en présence de cette question franchement posée : — En cas de guerre maritime, quel serait notre ennemi le plus redoutable ? Sur quels points nous serait-il avantageux de concentrer nos forces ? — Eh bien ! nous ne pensons pas faire injure à la Grande-Bretagne en déclarant qu’aucune marine ne serait pour nous plus redoutable que la sienne, et dès lors n’est-ce point dans la Manche, pour la défense de nos côtes ou pour l’attaque des côtes ennemies, que doivent être naturellement concentrés nos plus puissans moyens de transport ? La question se résout par la question même. Placer dans la Manche les paquebots transatlantiques, ce n’est point, faut-il le répéter ? menacer ni provoquer l’Angleterre ; c’est agir avec prévoyance, avec sagesse, mettre à profit les leçons de l’expérience et obéir aux plus simples notions du bon sens.

Mais dans quel port de la Manche les paquebots seront-ils établis ? A Cherbourg ou au Havre ? S’il y a rivalité entre les trois mers, la concurrence entre ces deux ports n’est pas moins vive. Situé à l’extrémité d’une presqu’île qui se dresse pour ainsi dire en avant de la France et fait saillie sur la mer, Cherbourg semble arrêter au passage et attirer à lui les navires arrivant d’Amérique : il leur offre une entrée saine, un abri sûr, un chemin de fer qui, prochainement achevé, les mettra en communication directe avec Paris et le centre de l’Europe. De plus, Cherbourg est l’œil de la France constamment fixé sur l’Angleterre. Ce sont là de grands avantages. De son côté, Le Havre insiste sur la supériorité incontestable de son mouvement maritime : quoi qu’on puisse attendre de l’avenir commercial réservé à Cherbourg lorsque le chemin de fer sera terminé, il paraît certain que le courant d’affaires apporte au Havre par la navigation de la Seine et par le rail-way ne se détournera pas aisément. Au point de vue militaire, la position du Havre ne manque pas d’importance : elle commande l’embouchure d’un fleuve, protège une longue étendue de côtes, et regarde le rivage anglais.

Quant à la vitesse des traversées entre la France et les pays transatlantiques, Cherbourg possède sur Le Havre un avantage de six heures, qui ne serait plus que de trois à quatre heures, si l’on calcule en même temps la distance respective qui sépare de Paris chacun de ces ports. La différence est donc à peu près nulle pour les dépêches et les passagers comme pour les marchandises, celles-ci devant même préférer la route qui abrège le plus leur transport par chemin de fer, car ce mode de roulage est le plus coûteux. Que le point de départ soit fixé au Havre ou à Cherbourg, les paquebots français conserveront, dans les deux cas, l’avantage de la vitesse sur les paquebots anglais, et c’est là le point essentiel. Il faut en outre tenir compte d’une éventualité très sérieuse. Si les États-Unis, rivalisant on se concertant avec nous, établissaient une ligne bi-mensuelle entre New-York et la France, de telle sorte que les deux lignes combinées fournissent un service hebdomadaire, il est probable qu’ils dirigeraient leurs paquebots vers Le Havre, où leur commerce est et demeurera très influent ; ils enlèveraient ainsi aux départs de Cherbourg une grande partie des passagers et du fret. Ici encore, observons ce qui se passe en Angleterre. Le gouvernement ayant laissé entrevoir l’intention de transférer de Liverpool dans un autre port de la Manche