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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/786

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REVUE DES DEUX MONDES.

déclaré que tout à l’heure, répondit le garde. Allons, ma bonne femme, soyez raisonnable, retirez-vous.

Avant d’obéir à cette injonction, la mère Madelon voulut encore essayer une nouvelle tentative pour sauver Caporal. Elle approcha auprès de lui l’écuelle remplie d’eau, et la lui indiqua de la main en lui jetant pour ainsi dire un regard de supplication impérative. L’esprit de soumission qui avait toujours été sa principale vertu se réveilla soudainement chez Caporal, et, comme s’il eût voulu que le dernier acte de la vie qu’il allait quitter fût un témoignage d’obéissance, malgré la répugnance qu’elle lui avait inspirée, il s’approcha de l’écuelle et but quelques gorgées. Puis, une soif véritable s’étant emparée de lui, il absorba avec une avidité précipitée tout le contenu du vase.

— Il a bu ! il n’est pas enragé ! s’écria joyeusement la mère Madelon. — Êtes-vous rassurés maintenant ? continua-t-elle en s’adressant aux paysans, qui se rapprochèrent. — Il a bu ! voyez, l’écuelle est vide !

Le garde, suffisamment convaincu par cette épreuve, désarma son fusil. Malheureusement la joie de la mère Madelon ne devait pas être de longue durée. La fraîcheur glacée de cette eau de puits dont Caporal venait d’absorber, sans reprendre haleine, une énorme quantité, détermina bientôt un étouffement. Il tourna ses yeux éteints du côté de sa maîtresse, flaira ses vêtemens, se tordit dans une convulsion suprême, et, poussant un hurlement aigu, il vint expirer aux pieds du garde forestier, qui ne put s’empêcher de reculer d’un pas.

— Ma pauvre femme, dit-il en s’adressant à la mère Madelon, je suis désolé de ce qui est arrivé ; mais après tout j’ai fait mon devoir.

— Quant à vous, continua le garde en montrant à la vachère le cadavre de son chien, la commune vous le remplacera. Vous ne l’aviez que depuis un mois ; celui-là ou un autre, cela doit vous être égal. Ce n’est pas la même chose que la mère Madelon, qui vivait avec le sien depuis dix ans.

— C’est sa faute aussi, à la Madelon, si on a tué nos bêtes, fit la vachère avec humeur.

— C’est ma faute ! comment ça ? intervint la vieille femme, qui jusque-là était restée silencieuse.

— Bien sûrement que oui, continua la vachère avec la même aigreur. Pourquoi avez-vous jasé dans le pays que votre chien devenait hargneux, et que ça l’aguichait de voir seulement couler la rivière ? Il n’en fallait pas davantage pour donner la peur au monde.

— Mais encore une fois, répondit la mère Madelon, je n’ai jamais tenu de ces propos-là. — Et quand vous me les avez répétés tout à l’heure, dit-elle en se tournant vers le garde, je ne vous ai pas compris ; je ne comprends pas davantage à présent.