Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/788

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
782
REVUE DES DEUX MONDES.

recommandation à ses yeux. D’un autre côté, Protat savait que la petite rente dont jouissait la bonne femme la mettait à l’abri du besoin, et que c’était moins encore pour en retirer du gain que pour ne point rester seule chez elle, qu’elle avait consenti à aider sa fille dans les travaux du ménage. En lui confiant la direction des dépenses domestiques, il ne craignait donc pas qu’elle grattât les centimes pour en faire des sous. Or, sans être avare, le bonhomme Protat était soigneux de son petit avoir, et volontiers aimait à s’enfermer dans un coin pour mirer ses vieux louis dans des écus neufs. — La mère Madelon, installée dans cette maison, y vécut sur un certain pied de familiarité qui aurait pu faire quelquefois supposer aux étrangers qu’elle faisait partie de la famille.

Les seules contestations qui s’élevaient entre elle et le père Protat avaient pour cause la protection dont elle essayait de couvrir, autant que cela lui était possible, le petit apprenti Zéphyr, et les remontrances qu’elle adressait à la jeune Adeline à propos de certaines tendances de son caractère, dont elle essayait d’arrêter les développemens. Sur ces deux points seulement ils ne s’entendaient pas toujours, car le père Protat, qui n’était point tendre, comme on l’a pu voir, aux défauts de Zéphyr, souffrait beaucoup, pour peu que l’on hésitât à reconnaître en sa fille l’assemblage de toutes les perfections. Dans son aveuglement injuste, quand une altercation s’élevait entre la mère Madelon et sa fille, il ne voulait même pas savoir le motif qui l’avait fait naître, et donnait de confiance tort à la première, sans vouloir comprendre combien l’infaillibilité qu’il accordait à la seconde, même dans les choses où elle était le plus inexpérimentée, pourrait devenir dangereuse par la suite. Le père Protat partageait une erreur commune aux parens dont les enfans ont reçu une éducation au-dessus de l’état dans lequel ils sont appelés à vivre, et c’était précisément le cas où Adeline se trouvait par suite de circonstances que nous avons aussi à faire connaître.

IV. — un mauvais père.

La fille du sabotier avait à peine trois ans à l’époque où sa mère était morte. Les maladies qui avaient rendu ses premières années indécises, les soins et les peines qui en étaient résultés pour sa mère contribuèrent puissamment au dépérissement de celle-ci, dont la santé s’était trouvée profondément altérée à la suite de ses couches. Le père Protat avait accueilli avec la joie la plus vive la naissance tardive de cette enfant, venue au monde après douze ans de mariage ; mais après la mort de sa femme, il éprouva un étrange sentiment pour la chétive créature qui lui restait entre les bras. En regardant le berceau où luttait sa vie incertaine, il ne pouvait s’em-