Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/812

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mené par MM. Carré et Barbier, les auteurs du poème un peu profane de Galatée. Jean, un joyeux compagnon de village, vient de réchapper belle : il a failli se marier ! Mais au moment de signer le contrat, le cœur lui manque, et il se sauve comme un conscrit qui préfère la liberté aux illusions de la gloire. Rentré chez lui, Jeanne se sent pas d’aise de se retrouver Jean tout court comme devant ; mais Jeannette n’est pas de cet avis, et elle vient lui demander raison de l’outrage qu’on lui a fait. Elle s’établit sans façon dans la chaumière de son fiancé rebelle, et par un tissu de petites ruses féminines, d’agaceries et de bons sentimens, elle parvient à changer les dispositions libertines de son amant, qu’elle enlève au célibat, au grand contentement de Jean lui-même. Telle est la donnée de cette petite pièce, que certains mots un peu risqués et une scène de brusquerie maritale un peu forte n’empêchent pas d’être écoutée avec plaisir. La musique est de M. Victor Massé, connu déjà par deux autres ouvrages qui ont eu du succès, la Chanteuse voilée et Galatée. L’ouverture, composée d’un seul motif qui n’a rien de bien saillant, commence par une sonnerie de cloches qui annonce le mariage qui va s’accomplir, et qui ne mérite pas autrement d’être remarquée. Il y a quelques détails heureux dans le premier air que chante Jean en se félicitant d’être encore garçon, et la première romance de Jeannette est agréable aussi, sans sortir toutefois des banalités du genre. Les couplets bachiques chantés par Jean derrière la coulisse ont de la couleur. C’est le morceau le mieux réussi de tout l’ouvrage, en y ajoutant la charmante petite romance qui s’échappe du cœur de Jeannette pendant qu’elle raccommode la veste de son futur. L’air un peu prétentieux et tout rempli de vocalises par lesquelles Jeannette agace le cœur de son mari, en luttant avec le rossignol, ressemble à tous les morceaux de bravoure possibles qui n’ont d’autre mérite que de faire briller la flexibilité d’organe de la cantatrice. Ce petit ouvrage, sans rien ajouter à la réputation que M. Massé s’est honorablement acquise comme musicien gracieux, qui a plus de distinction que de force et d’originalité, la confirme en laissant subsister le doute si, dans un cadre plus grand, le jeune maestro serait aussi heureux. À la place de M. le directeur de l’Opéra-Comique, nous engagerions M. Massé à ne point se hâter de quitter le rivage fleuri de l’idylle, et à rester encore quelque temps dans un genre modeste et limité. Un ou deux actes tout au plus doivent suffire à la muse délicate de M. Massé, qui a besoin d’apprendre beaucoup de choses : à varier son style et ses couleurs, à renforcer ses mélodies par un meilleur choix de la seconde phrase complémentaire, partie délicate de la composition où échouent tant de musiciens qui visent à chanter le vainqueur des vainqueurs de la terre. Et puisque nous engageons M. Massé à contenir son ambition et à retarder de quelque temps encore son vol dans une sphère plus élevée, mais plus dangereuse, qu’il nous permette de lui signaler un sujet qui conviendrait à son agréable talent. Nous voulons parler du roman de Mme Sand, André, d’où l’on pourrait tirer deux actes d’une fine et charmante comédie qui serait, ce nous semble, une heureuse continuation de Galatée et des Noces de Jeannette, fort bien jouées par M. Coudère et par Mlle Miolan, qui chante comme un ange.

Le Théâtre-Italien se débat toujours au milieu d’inextricables difficultés. Après Luisa Miller, dont les représentations ont été brusquement interrompues,