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aux hommes, et qu’aveugles ou ingrats, ils laissent perdre ou corrompre sans retour. On put croire que l’heure d’une régénération nécessaire avait sonné ; mais, depuis plusieurs années, le règne des extrêmes approchait. Les opinions intermédiaires avaient commencé à décliner. L’esprit conservateur avait cessé d’être capable de profiter de l’occasion ; l’esprit radical n’était capable que d’en abuser. L’aube se couvrit d’orageux nuages, et bientôt tout disparut dans la tempête. L’Italie, à l’exception du noble pays où règne la loyale maison de Savoie, se replongea dans son néant, et d’éminens esprits, découragés par l’expérience, rentrèrent dans la retraite avec de plus tristes pensées.

Vincent Gioberti sera bientôt, nous l’espérons, dignement apprécié dans ce recueil. Nous laisserons aujourd’hui M. Rosmini dans la sainte obscurité où se cachent la piété de sa vie et la gravité de ses travaux. Seulement nous pourrons quelque jour lui demander le secret de ses doctrines métaphysiques. Dès à présent, nous prendrons plus de liberté avec le père Ventura. Aussi bien s’est-il mis lui-même à notre portée. Il a été donné aux oreilles françaises d’entendre de sa bouche la parole chrétienne. Ramené par les événemens à la préoccupation unique de ce qui, pour le prêtre, commence et finit tout, de ce qui est pour lui l’alpha et l’oméga de la pensée et de la vie, il est venu de Rome faire entendre dans cette capitale aux mille croyances un écho des catacombes et du Vatican.

Je crois que la première fois que son nom parvint à ce public insouciant, ce fut par la traduction de son oraison funèbre d’O’Connell. Ce discours, écrit avec beaucoup de verve et de liberté, accueilli par l’enthousiasme des fidèles dans une des basiliques de Rome, consacré par l’approbation de l’autorité pontificale, n’avait pas seulement l’avantage de nous révéler un orateur chrétien, il annonçait quelque chose de plus grave et de plus nouveau. C’était l’alliance de la vieille foi de nos pères avec l’esprit libérateur des sociétés modernes. Un éloquent appel venait de la métropole des églises à toutes les églises, à tous les fidèles, et les conviait à célébrer comme des serviteurs du christianisme les défenseurs des droits des hommes. Leur nom était loué dans la chaire de vérité ; ils étaient mis au rang des esprits qui peuvent être selon Dieu, probate spiritus si ex Deo sint. L’Irlande a ce privilège, que ses souffrances ont touché ceux qu’avait jusque-là faiblement émus l’oppression, et qu’une éloquence tribunitienne, consacrée à répéter ses plaintes et à réclamer sa liberté, a fait comprendre à des hommes qui semblaient l’ignorer que liberté, jury, pétition, parlement, n’étaient pas de vains mots, et que le christianisme aussi pouvait, plus sûrement qu’à l’ombre des trônes, se réfugier sous l’égide des constitutions.