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qu’elle n’apercevait pas. Par la méditation et le raisonnement, elle arrive laborieusement à la vérité. Elle la trouve ainsi ; mais la trouver, ce n’est pas la faire. Comment donc accuser la raison de présomption parce qu’elle dit qu’elle la cherche, qu’elle la cherche en elle-même, comme si c’était arrogance et folie que d’étudier l’homme pour le connaître ? Qui donc, en disant que la raison cherchait à s’instruire par elle-même ou par ses seules lumières, a entendu qu’elle créait l’objet même de ses recherches, et que ses lumières étaient son ouvrage ? On a entendu qu’il fallait chercher pour trouver ; cherchez et vous trouverez, ces mots sont vrais aussi dans ce sens. D’où vient qu’il y aurait plus d’orgueil à dire qu’on cherche la vérité et plus d’humilité à dire qu’on la possède ? La raison, qui fait effort vers la connaissance parfaite, se reconnaît par là même dépendante de la vérité. Souveraine dans l’homme, la raison a sa loi en elle-même, mais qui vient de plus haut qu’elle. Où est la chimère, où est l’orgueil ? Est-ce de croire que la raison humaine est faite pour la vérité ? Nous avons cet orgueil, parce que nous croyons en Dieu.

Vous bornez-vous à dire qu’il vaudrait mieux chercher la vérité dans les opinions communes, dans les traditions permanentes de l’humanité ? Ceci est plus soutenable, mais ne mérite pas qu’on en fasse tant de bruit. Interroger les croyances des peuples, l’histoire de leurs cultes, c’est une inquisition comme une autre, et, remarquez-le bien, c’est toujours chercher dans l’homme ce qu’il faut croire de Dieu, car les croyances humaines sont dans les hommes apparemment. Toute la question est de savoir quel est le meilleur procédé d’enquête, s’interroger soi-même ou passer en revue les opinions humaines. Le second procédé n’est sûrement pas à dédaigner, mais il tombe plus que tout autre sous la remarque de saint Thomas ; il demande plus de temps, de travail, d’érudition ; il est moins à la portée du commun des hommes. Je ne sache pas au reste qu’aucun philosophe ait renoncé à s’enquérir de ce que pensent les hommes en général ; on apprend également par là à connaître la nature humaine. Cependant, si les deux procédés sont distincts, si l’on peut préférer l’un à l’autre, en doit-on exclure aucun ? Celui qui cherche en lui-même, dans ses idées, dans le moi, si vous voulez, poursuit l’universel, car c’est l’objet propre de la science ; et cette investigation aurait beaucoup moins de prix à ses yeux, s’il n’était assuré qu’il trouve en lui toute la nature humaine, et que sa raison est celle de tout le monde. De même celui qui passe la revue des croyances reçues dans toutes les sociétés d’hommes ne les comprend, ne les apprécie que parce qu’il peut les contrôler par ses propres idées et les rapporter aux types qu’il rencontre dans son esprit et dont elles ne sont que des exemplaires plus ou moins différens. Je suis certain