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de ses traités sont des chefs-d’œuvre. Cependant, soit l’imperfection et la pauvreté d’un idiome impropre à l’expression des idées métaphysiques, soit le tour d’esprit de l’auteur, qui le portait au doute et à la raillerie, qui lui faisait préférer l’argumentation oratoire à la sévérité de la dialectique, et les grâces de la parole à l’exactitude des choses, ce n’est pas à lui qu’il faudrait toujours demander une détermination précise et une exposition rigoureuse des systèmes enfantés par la subtilité féconde du génie de l’hellénisme. Mais nous n’insisterons pas sur cette remarque, et nous convenons qu’on peut s’aventurer sur la foi d’un guide qui s’appelle Cicéron, et se résigner à ne pas comprendre la Grèce mieux que lui, à une condition cependant, c’est qu’on discernera dans ses ouvrages ce qu’il dit et ce qu’il veut dire. En philosophie, Cicéron n’a rien inventé, hormis peut-être quelques argumens de détail, et, je le crois, quelques parties de la morale dans l’admirable traité des Devoirs, Il aimait tant les systèmes, il était si heureux de montrer comme il savait les entendre et les traduire, qu’il se borne quelquefois à les exposer presque sans conclure, et qu’on sait à peine ce qu’il en pense. Il était grand amateur d’opinions, magnus opinator, et il ne faudrait pas toujours lui attribuer celles dont il s’est rendu l’interprète. Au reste, ses ouvrages, lus et cités avec attention, préviennent cette méprise. Ce sont, comme l’on sait, presque toujours des dialogues. Il y fait soutenir par divers interlocuteurs les thèses les plus diverses, mais sans admettre toutes celles qu’il déduit sous leur nom. Ordinairement, un de ses personnages, et souvent ce personnage est lui-même, discute les opinions produites, distingue, critique, réfute, et termine enfin par en adopter ou en présenter une, au moins comme la plus probable ; car c’était le genre de crédibilité que la nouvelle académie substituait à la certitude, et que Cicéron regardait comme aussi digne de la foi pratique de la raison. Ainsi, par exemple, le traité de la Nature des dieux est destiné évidemment à présenter, sous la forme d’un débat entre un épicurien et un stoïcien, une libre discussion sur la religion païenne, que Cicéron, lorsqu’il ne parlait pas politique, était loin de ménager autant que le fait parfois le père Ventura. Dans ce dialogue, Velleius commence par exposer la doctrine d’Épicure, qui ressemble fort à l’athéisme. Balbus la réfute par les argumens du stoïcisme et par une profession de foi religieuse dans laquelle il y a du vrai et du beau. Un académicien, ce qui ne veut pas dire ici un disciple de Platon, mais de Carnéade, Cotta, fait à Balbus quelques objections, et Cicéron, avec promesse qu’elles seront un jour résolues, clôt la séance en déclarant qu’il incline à l’avis de Balbus. Cicéron est loin dans cet ouvrage de conclure aussi énergiquement sur la question