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ADELINE PROTAT.

rouge, je ne croirai pas que ses couleurs auront été payées trop cher ; mais, ce que je ne comprends pas bien, c’est que vous me disiez qu’elle ne pourra guérir que si elle s’en va d’auprès de moi. Faudrait-il la conduire à Paris pour qu’elle soit mieux soignée ? Si c’est cela que vous avez voulu dire, nous allons faire nos paquets, ça ne sera pas long.

— Le séjour de Paris ne vaudrait pas mieux que celui de cette campagne, et encore moins, reprit le docteur ; laissez-moi achever. Mme de Bellerie, qui m’a amené ici, se dispose à aller habiter le midi de la France pour quelque temps. Tout à l’heure, quand elle m’interrogeait sur le compte de votre petite fille, je lui ai répondu : La seule chose qui pourrait sauver cet enfant, c’est le soleil chaud et l’air salubre d’un autre climat ; mais comment dire à ce pauvre homme : Votre fille mourra, si elle ne va pas habiter l’Italie ou les îles d’Hyères ? La marquise m’a interrompu pour me dire : Nous allons partir pour la Provence, où nous resterons peut-être deux hivers ; ce brave homme a sauvé mon enfant de la mort ; si la vie de sa fille dépend d’un peu de soleil, dites-lui que nous l’emmènerons avec nous. Maintenant, dit le docteur en regardant le sabotier, voilà ma commission faite. La marquise est la meilleure des femmes ; elle aura pour votre enfant les soins de la plus tendre des mères. La reconnaissance qu’elle vous doit est une garantie de l’affection que votre enfant trouvera au sein de cette famille, où elle sera traitée comme la sœur de la petite Cécile. Autant l’évidence m’oblige à vous instruire de l’état dangereux où se trouve votre petite, autant je puis prendre sur moi de vous faire espérer sa guérison, si vous consentez à vous séparer d’elle en la laissant partir avec Mme de Bellerie. Elle et moi, nous n’avons pas songé un instant que vous auriez besoin de réfléchir, acheva le médecin en voyant que le sabotier ne répondait pas.

Au même instant, la marquise rentrait dans la chambre avec les deux enfans.

— Votre petite se plaint du froid, dit-elle à Protat en lui montrant Adeline qu’elle avait enveloppée dans la pèlerine de Cécile. Protat prit Adeline sur ses genoux et l’embrassa silencieusement. Pendant ce temps, la marquise interrogeait le docteur du regard en lui désignant le sabotier, qui paraissait plongé dans ses réflexions. Le médecin fit un geste qui voulait dire : Il n’a pas encore répondu. Adeline, qui semblait mal à l’aise dans les bras de son père, laissa échapper une petite toux sèche, et les efforts qu’elle faisait se peignaient sur son visage par une contraction douloureuse. La crise passée, l’enfant, redevenue insouciante à ce mal dont elle avait l’habitude, parut s’admirer dans la riche pelisse de soie blanche dont elle était vêtue.