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ADELINE PROTAT.

Elle avait tant dit de choses inutiles, injustes, qu’elle était embarrassée pour continuer à parler ; mais un amour-propre sans nom la poussait toujours. À chaque mot qu’elle ajoutait, elle s’attendait à ne pouvoir pas l’achever, arrêtée qu’elle serait par Adeline, qui prendrait soudain son grand air de princesse ; mais Adeline paraissait à cent lieues d’elle. Elle regardait par la fenêtre le tranquille paysage qui bordait les rives du Loing, et sa pensée était aussi loin de la sotte querelle qu’elle avait à subir, qu’elle-même était éloignée du nuage qui passait dans les hauteurs du ciel, où son regard se fixait de temps en temps. Madelon, outrée de cette indifférence qui venait la convaincre qu’elle parlait depuis une heure, non-seulement à une muette, mais encore à une sourde, ne put pas résister plus longtemps à cette apparence de dédain. Elle se précipita vers Adeline, qui était appuyée contre une table ; elle lui arracha la cafetière qu’elle tenait entre les mains, et s’écria : — Pendant que vous restez là, comme une borne, à rêvasser, le café s’est refroidi, et, quand je vais descendre le servir, votre amoureux, qui est en bas, me mettra ça sur le dos, et votre père me donnera un savon, comme si c’était de ma faute… Voilà encore une belle invention que ta satanée cafetière, qu’on n’a pas le temps de jaser un brin que le café est à la glace. Tu vois bien, petite, que j’avais raison de n’en pas vouloir. C’est encore, dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe, va ! … Si je m’étais servie du mien, le cafiau serait encore bouillant, au lieu que va falloir le faire réchauffer, et qu’il perdra tout son goût.

Aux premiers mots de la phrase de la mère Madelon, Adeline, mue comme par un ressort intérieur, s’était relevée subitement. Elle avait jeté sur la servante un regard qui la foudroya presque. Aussi, comme on l’a vu, celle-ci essaya-t-elle d’effacer l’impression qu’elle venait de causer à la jeune fille en reprenant dans un ton familier, qui devait, selon elle, hâter la conciliation ; mais, si habile qu’elle fût, cette manœuvre n’eut pas le résultat qu’elle en avait espéré. Adeline n’avait pas entendu le reste de cette phrase ; elle en était encore à réfléchir sur un mot qui avait retenti dans son cœur comme un coup de foudre.

— Mère Madelon, dit la jeune fille après une courte hésitation, il faut absolument que cette querelle soit la dernière.

— Une querelle, mon enfant ! dit la vieille femme, redevenue câline non par esprit de servilité, mais parce qu’elle s’apercevait qu’elle avait blessé Adeline, et qu’elle en éprouvait du regret ; une querelle entre nous !… tu veux rire ? Nous avons causé un peu haut, comme ça nous arrive souvent, voilà tout. Tu sais, je suis obstinée, et un peu vive, — défaut de naissance, ma petite, je suis trop vieille pour m’en corriger ; — faut pas m’en vouloir, et tu ne m’en voudras pas, Adeline, j’en suis bien sûre. Tu es trop bonne fille pour ça.