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lettre que l’artiste croyait emportée par le vent. À cette lettre étaient joints un petit lorgnon d’écaille brisé et un bout de croquis à la plume qui avait une vague ressemblance avec Lazare, et qu’un des amis du jeune homme avait dessiné sur un coin de l’album que le désigneux portait toujours dans sa poche.

C’était avec ces souvenirs qu’Adeline avait nourri, pendant l’année qui avait suivi le départ de Lazare, l’amour que celui-ci n’avait pas senti battre dans l’embrassement de l’adieu.

On comprendra donc facilement le soin qu’elle prenait de fermer à double tour le tiroir à la garde duquel elle avait confié ce reliquaire amoureux, — où elle faisait quotidiennement ses dévotions, — non pas sans avoir eu la précaution de pousser le verrou à la porte de sa chambre et de tirer son rideau, pour éviter toute surprise.

C’est par tous ces degrés, dont l’analyse était nécessaire, que l’amour d’Adeline avait passé successivement. Sa joie, en apprenant le retour du peintre, de l’aveu même de son père, elle n’avait pu la contenir. Pendant les trois jours qui avaient précédé son arrivée, elle avait fait mettre les ouvriers à la chambre de Lazare, convertie, comme nous l’avons dit, en atelier, et elle avait activé leurs travaux, craignant qu’ils n’eussent pas achevé à temps. Dans toute cette agitation, le bonhomme Protat ne voyait que le désir innocent d’être agréable à l’hôte attendu, et, comme toujours, il y donnait les mains.

La vieille Madelon, plus expérimentée, et qui était femme après tout, avait flairé une fraîche odeur d’amourette dans tout le mouvement que se donnait la jeune fille, sans que celle-ci s’en fût même doutée. Pendant la course qu’elle avait faite à Moret pour aller aux provisions, la servante avait fait parler Adeline, qui ne demandait pas mieux que d’épancher en paroles le trop plein de sa joie, et, sauf les détails que nous avons révélés, elle avait dit son secret tout entier, qu’elle était encore à se croire seule à le connaître. La Madelon n’avait vu dans cet innocent amour qu’un fait très naturel et prévu peut-être par son bon sens dès la première année où Lazare était venu habiter la maison. Assez familière avec l’artiste, elle avait compris que le jeune homme ne prenait pas garde à sa jeune maîtresse ; rassurée sur ce point, elle n’avait rien dit au bonhomme Protat, et elle avait continué à fermer les yeux sur l’inclination d’Adeline.

Cependant le mot qui lui était échappé dans sa querelle avec la fille du sabotier avait assez effrayé celle-ci. En supposant qu’Adeline en eût encore été à chercher le nom du sentiment qu’elle éprouvait pour Lazare, la peine lui en avait été épargnée par la vieille servante. Votre amoureux, avait-elle dit…

Assise auprès du petit meuble, Adeline se demandait ingénument