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ADELINE PROTAT.

enfant. Ce fut seulement vers la fin du second séjour que le peintre fit à Montigny que les sentimens de la jeune fille se précisèrent plus complètement ; sa tranquillité était traversée par des rêveries qui la pénétraient de langueur ; à de fugaces éclairs d’une gaieté folle succédait soudainement une inquiétante immobilité ou un brusque changement d’humeur : Adeline se montrait irritable, capricieuse… elle rudoyait Madelon, elle rudoyait Zéphyr ; elle sevrait son père des câlineries qui faisaient la joie du bonhomme, et quand le peintre demandait à celui-ci : — Qu’a donc la petiote ? le sabotier répliquait : — Bah ! c’est la croissance.

Il ne savait point dire aussi vrai, quand il répondait cette banalité. C’était en effet la croissance de son amour qui modifiait l’humeur, toujours si égale, de cette jeune fille. Ces changemens s’étaient opérés en elle depuis un soir où, au milieu du dîner, Lazare avait annoncé à son hôte qu’il allait retourner à Paris dans huit jours. Un incident était venu troubler ce repas : comme Lazare achevait de parler, le bonhomme Protat s’aperçut qu’au lieu de remplir le verre qu’il lui tendait, sa fille répandait le vin sur la table.

— Eh bien ! fillette, qu’est-ce que tu fais donc ? avait dit le père en regardant Adeline, devenue toute pâle.

— Rien, dit-elle. — Et montrant le petit apprenti qui se trouvait assis en face, elle ajouta : — C’est Zéphyr qui vient de me marcher sur le pied. Ça m’a fait faire un mouvement.

Zéphyr avait eu beau protester, le bonhomme Protat, lui allongeant un coup de pied sous la table, l’envoya manger à la cuisine.

Cette nuit-là Adeline n’avait pas dormi, et elle avait pleuré.

La veille du jour où il devait quitter Montigny, comme il rentrait chez lui pour faire ses préparatifs, Lazare trouva Adeline dans sa chambre. Il fut surpris moins de cette rencontre que de l’embarras qui se peignit sur le visage de la jeune fille, et presque de l’effroi qu’elle avait laissé paraître à sa vue. Adeline avait motivé sa présence dans la chambre du jeune homme par quelque détail de ménage qu’elle lui avait expliqué en balbutiant ; puis elle était sortie. Quand Lazare s’était trouvé seul, il avait voulu achever une lettre commencée le matin, et dans laquelle il annonçait son retour à Paris. Cette lettre, qui était restée sur sa table, il ne la retrouva plus, mais plusieurs dessins, qu’il avait également laissés sur cette même table, placée auprès de la fenêtre, et qu’il trouva dispersés dans la chambre, lui firent supposer que le grand vent qui soufflait avait emporté sa lettre dans le jardin, et du jardin dans la rivière. Il ne fit pas d’autres recherches, et écrivit une nouvelle lettre.

Pendant qu’il écrivait, Adeline, retirée dans sa chambre, enfermait à double tour, dans le petit meuble dont nous avons parlé, la