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Pendant que ceci se passait dans la chambre d’Adeline, Lazare, qui avait terminé sa sieste, venait de se mettre à la fenêtre et fumait tranquillement en regardant le père Protat, qui semblait avoir, au bout du jardin, une explication très animée avec la Madelon.

— Décidément, pensa Lazare, il se passe quelque chose dans la maison : la fillette Adeline pleurniche, maman Madelon crie, le père Protat jure. Je suis très fâché de ça, le rôti sera brûlé, et mon ami Zéphyr aura des coups.

Depuis une demi-heure environ, le bonhomme Protat rusait avec la vieille servante pour savoir le secret des pleurs de sa fille. Sa colère une fois refroidie, la Madelon, qui était bonne femme au fond, reconnut qu’elle avait eu tort dans la discussion, et qu’elle avait obligé Adeline à lui signifier son renvoi. « J’ai été dure, pensait-elle en se promenant de long en large, très dure avec cette enfant. Dam ! c’est vif, ça porte la tête aussi haut que le cœur. Où est le mal, quand on n’a rien à se reprocher ? C’est vrai au moins, ce qu’elle m’a dit, qu’il y avait des occasions où les vieilles gens devaient respecter la jeunesse. Qu’est-ce que j’avais besoin d’aller lui parler de ces bêtises-là ? Ô vieille langue, ajoutait la bonne femme, tu ne pourras donc jamais t’arrêter à temps ? » Elle en était là de son monologue, quand elle fut abordée par le sabotier. Lorsqu’elle apprit par lui qu’il avait quitté Adeline dans les pleurs, la Madelon, qui savait être la cause de ce chagrin, recommença tout haut ses récriminations contre elle-même.

— Ah ! vieille mauvaise, va ; gredine… sans cœur que tu es, vois ce que tu as fait. Voilà ma fille qui pleure à présent !

— À quel diable en avez-vous ? demanda le sabotier surpris.

— Eh ! à moi donc, répliqua la vieille. Tenez, monsieur Protat, menez-moi vers l'enfant, que je lui fasse excuse. C’est vrai, ça, je ne sais pas ce que j’ai à ce matin, mais je l’ai taquinée tant et tant, que le bon Dieu lui-même aurait perdu patience. Menez-moi, que je lui dise mon tort. Nous autres vieux, ça nous offusque toujours de voir les jeunes gens plus adroits que nous de la parole et des mains. Moi aussi, j’ai été jeune et j’ai eu mon temps. Chacun son tour, c’est naturel.

— Qu’est-ce que vous me chantez là ? fit Protat impatienté. C’est donc vous qui êtes dans vos torts ?

— Oui, c’est moi, qu’est-ce qui dit le contraire, puisque j’en conviens ?

— Eh bien ! alors pourquoi ma fille m’envoie-t-elle vous demander pardon ?

La Madelon n’était point sotte. Elle devina quelle crainte avait dû passer dans l’esprit d’Adeline, pour que la jeune fille, qu’elle savait