Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/907

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
901
ADELINE PROTAT.

orgueilleuse, et ne ployant jamais quand elle avait le bon droit pour elle, eût consenti à faire faire une pareille démarche.

« Oh ! pauvre enfant, murmura la vieille servante en se parlant à elle-même, je l’ai donc bien cruellement offensée, pour qu’elle me suppose capable de la trahir ! »

— Allons trouver votre fille, dit-elle vivement au bonhomme.

— Ah ça, répliqua celui-ci, me direz-vous au moins ce que tout ça signifie ?

— Oui, plus tard, répondit Madelon d’un ton qui semblait indiquer au sabotier qu’il y avait bien réellement quelque chose à lui expliquer.

Comme ils se dirigeaient vers la salle à manger, Lazare, qui était resté à sa fenêtre, poussa un grand cri.

La Madelon et son maître relevèrent en même temps la tête.

— À votre bachot… démarrez, vite, s’écria Lazare en faisant signe au sabotier… il y a quelqu’un qui se noie. Et l’artiste quitta brusquement sa fenêtre. Le bruit qu’il fit en descendant l’escalier et les cris qu’elle entendit monter du jardin tirèrent peu à peu Adeline de son engourdissement ; elle put se traîner jusqu’à la fenêtre et l’entr’ouvrir à demi. Une bouffée d’air frais qui la frappa au visage lui rendit complètement l’usage de ses sens.

Voici ce qu’elle aperçut :

Dans le jardin, sur le bord de l’eau, la Madelon faisant des grands bras et poussant des cris d’effroi ; au milieu de la rivière, son père dans son bachot ramant avec vigueur d’après les indications que semblait lui donner Lazare, placé à l’avant du bateau, à moitié déshabillé et une gaffe à la main.

— Encore un coup… là… s’écriait l’artiste, qui jeta la gaffe comme pour sonder ; c’est là, s’écria-t-il, le croc a mordu ; — et il se laissa tomber dans l’eau.

Adeline descendit dans le jardin.

— Ah ! ma fille, s’écria la Madelon en l’apercevant, ne reste pas là, ça te ferait trop de mal à voir ; on le ramènera mort, bien sûr.

— Qui donc, qui donc ? dit la jeune fille.

— Eh ! Zéphyr qui s’est laissé tomber dans l’eau ! M. Lazare est allé le pêcher.

Adeline devint toute pâle ; il fallut que la Madelon la soutînt pour l’empêcher de tomber.

— N’aie point peur, lui dit-elle tout bas… c’est pas pour lui qu’il y a du danger.

À cette parole, Adeline se rejeta rapidement loin de Madelon, à qui elle lança un regard de mépris.

— Sacrebleu ! tonnait le père Protat, debout dans son bachot, dont