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dite, le revenu moyen des fermiers devait être de 40 francs par hectare en valeur nominale, ce qui supposait un capital d’exploitation de 400 francs ou en valeur réduite 320.

En France, c’est tout au plus si l’équivalent de ce bénéfice s’élève à 10 francs par hectare, c’est-à-dire à la moitié de la moyenne du royaume-uni et au tiers de celle de l’Angleterre proprement dite. Il n’y a que le nord de l’Ecosse et l’ouest de l’Irlande qui soient au-dessous de la moyenne française ; le reste est généralement fort au-dessus. Il est d’ailleurs aussi difficile de distinguer en France le bénéfice que la rente. Un quart seulement du sol est affermé, et dans les trois autres quarts le bénéfice est confondu soit avec la rente, soit avec le salaire. En somme, la moyenne du capital d’exploitation peut être évaluée chez nous à 100 francs l’hectare. Là est un des plus grands signes de notre infériorité, car en agriculture, comme dans toute espèce d’industrie, le capital d’exploitation est un des agens principaux de la production.

Les fermiers de l’Angleterre proprement dite possédaient donc, à surface égale, le même revenu que nos propriétaires français au moins. Le fermier d’une terre de cent hectares, par exemple, avait l’équivalent de 3,000 fr. de revenu net ; le propriétaire d’une terre de même étendue, dans les conditions moyennes, n’aurait pas eu davantage chez nous. Dans les parties les plus riches, les fermiers gagnaient 50, 60, jusqu’à 100 francs par hectare ; on en trouvait qui jouissaient de 10,000, 20,000, 30,000 francs de revenu. De là l’importance sociale de cette classe qui n’est pas moins assise sur le sol que la propriété elle-même. On les appelle des gentilshommes fermiers, gentlemen farmers. Ils vivent pour la plupart dans une aisance modeste, mais comfortable ; ils sont abonnés aux journaux et aux revues, et peuvent faire paraître de temps en temps sur leur table la bouteille de claret et de Porto ; leurs filles apprennent à jouer du piano. Quand on visite les campagnes en Angleterre, on est parfaitement reçu, pour peu qu’on ait quelques lettres d’introduction, dans ces familles cordiales et simples, qui cultivent souvent la même ferme depuis plusieurs générations. L’ordre le plus parfait règne dans la maison ; on y sent à chaque pas cette régularité d’habitudes qui révèle le long usage. L’aisance est venue peu à peu par le travail héréditaire, c’est surtout depuis le temps d’Arthur Young quelle s’est développée, on en jouit comme d’un bien honnêtement et laborieusement acquis. J’ai vu un jour dans un des comtés d’Angleterre les moins fertiles, le Nottinghamshire, une réunion de fermiers après un marché ; des pairs d’Angleterre n’auraient pas mieux dîné. Aucun d’eux ne songe à devenir propriétaire, leur condition est bien meilleure ; pour avoir 3,000 francs de revenu comme propriétaire, il faut