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sage, modeste, silencieuse, et si elle se conduisait bien, je rendrais un si bon compte d’elle au ministre du roi, même à sa majesté, que j’espérais lui obtenir encore quelques nouveaux avantages. Je fis d’autant plus volontiers cette promesse que j’avais encore dans mes mains environ 41,000 livres tournois sur lesquelles je comptais récompenser chaque acte de soumission et de sagesse par des générosités censées obtenues successivement du roi et de vous, monsieur le comte, mais seulement à titre de grâce et non d’acquittement ; c’était avec ce secret que j’espérais encore dominer, maîtriser cette créature fougueuse et rusée. »


Arrivé à Versailles avec son coffre, Beaumarchais est complimenté par M. de Vergennes, qui lui envoie un beau certificat déclarant que « sa majesté a été très satisfaite du zèle qu’il a marqué dans cette occasion, ainsi que de l’intelligence et de la dextérité avec lesquelles il s’est acquitté de la commission que sa majesté lui avait confiée. »

Le négociateur commençait à attirer l’attention de Louis XVI ; les précédentes missions l’avaient laissé dans l’ombre, celle-ci le mettait enfin en évidence. Il n’était pas homme à en rester là et à négliger de pousser sa pointe. Ce qu’il veut maintenant, ce n’est plus seulement un ordre du roi, c’est une correspondance directe avec lui. Avant de repartir pour Londres, il adresse à Louis XVI une série de questions en le priant de vouloir bien répondre lui-même en marge, et le roi de sa main répond docilement aux questions de Beaumarchais. L’autographe est curieux. Le corps de la pièce est écrit de la main de Beaumarchais et signé de lui ; les réponses à chaque question sont écrites en marge, d’une écriture assez fine, mais inégale, molle, indécise, où les t et les v sont à peine indiqués. C’est l’écriture du bon, du faible et malheureux souverain que la révolution devait dévorer dix-sept ans plus tard ; et afin que Beaumarchais puisse se glorifier tout à son aise de correspondre directement avec Louis XVI, à la suite des réponses de ce monarque se trouvent les lignes suivantes, écrites et signées de la main de M. de Vergennes : Toutes les apostilles en réponse sont de la main du roi. Pour apprécier cette pièce comme témoignage de la discordance de toutes choses à cette époque, il faut de plus se souvenir qu’au moment où elle est écrite, Beaumarchais est encore sous le coup d’une condamnation juridique qui le déclare déchu de ses droits de citoyen, et c’est dans cette situation qu’il entame par écrit avec Louis XVI le dialogue suivant :


« Points essentiels que je supplie M. le comte de Vergennes de présenter à la décision du roi avant mon départ pour Londres, ce 13 décembre 1775, pour être répondus en marge :

« Le roi accorde-t-il à la demoiselle d’Éon la permission de porter la croix de Saint-Louis sur ses habits de femme ?

« Réponse du roi : — En province seulement.